vendredi 13 septembre 2019

De l'islam politique


Marie-Thérèse URVOY


De l'islam politique

1. Aux fondations de l'islam politique: histoire et textes.
        
         Dans son histoire, l'islam s'est toujours distingué par le caractère obsessionnel de son rapport au pouvoir. A Médine,  dès qu'il le put matériellement, il assuma un lien intime et constitutif entre le religieux et le politique.
         C'est sans doute la Charte de Médine, appelée par les Musulmans contemporains constitution, qui est le premier marqueur fondateur de l'islam politique. Mais avant, quel était l'impact concret de la nouvelle prédication commencée en 610 à la Mecque? Le monothéisme prêché par Muhammad était bien une rupture avec le polythéisme ambiant. L'islam ne présentait qu'une différence avec beaucoup de valeurs préislamiques restées inchangées: mais elle résidait dans plus d'évidence, de simplicité et de forte certitude sous la protection d'un Créateur unique, plus puissant que toutes les autres divinités. Sur le plan éthique, les liens essentiels et innés, qui unissaient les membres d'une même famille, comme dans toute société primitive proche de la nature, ont été repris et amplifiés dans l'islam, sous la seule réserve qu'ils ne s'opposent en rien à la nouvelle prédication. L'événement historique est sans conteste le remplacement du lien tribal et clanique par le seul nouveau lien religieux. La fraternité entre tous les Musulmans est la première caractéristique essentielle de la nouvelle religion et d'une nouvelle société. La communauté, sacralisée par Allah dans le Coran, s'approprie spontanément réflexes psychologiques et usages propres aux tribus. Le Coran ne manque aucune étape de ce transfert, ni de rappeler en diverses formulations, que « les Musulmans sont durs envers les infidèles, miséricordieux entre eux » (XLVIII, 29). Ce qu'un célèbre traditionniste des débuts de l'Islam, al-Fudayl Ibn ʽÎyâd, traduira ainsi: « le plus solide des liens de l'islam, c'est l'amour en Allah, et la haine en Allah ».
         Le concept de la communauté (umma) dans la société islamique est clairement énoncé dans la Charte citée plus haut. Celle-ci a été établie par Muhammad après son  émigration (hégire) à Médine, notion sacralisée en islam en imitation du prophète "excellent modèle [à suivre]" indiqué par Allah dans le Coran (XXXIII, 21). Ce concept de umma est repris dans nombre de corpus de hadîths (traditions prophétiques), et participe à la définition de l'islam des origines en ces termes: « c'est le ralliement ou la soumission à un pouvoir nouveau, instauré par un prophète qui en définit les lois au nom de Dieu, et dont les assises politiques sont appuyées sur une action militaire permanente » (A.L. de Prémare). Cela est parfaitement rendu dans les récits canoniques appelés "les campagnes de l'Envoyé d'Allah" (maghâzî rasûl Allâh), lesquelles jouent un rôle capital dans l'histoire des débuts de l'Islam et dans la formation de son Droit (fiqh). L'un des plus anciens hadîths dit: « j'ai reçu l'ordre d'Allah de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils disent “point de divinité excepté Allah”. Celui qui dit “point de divinité excepté Allah” préserve de mon atteinte ses biens et sa personne ».
         La Charte de Médine a été rédigée par Muhammad pour asseoir les bases de sa confédération. Les thèmes les plus cités par les hadîths concernent surtout des réglementations des relations sociales (muʽâmalât): dette de sang en cas de meurtre, rançon des prisonniers, etc. Mais le thème le plus récurrent est celui de l'étroite solidarité entre les adhérents au mouvement contre ceux qui lui sont réfractaires. Dans plusieurs hadîths confirmés revient une déclaration de Muhammad établissant Médine en tant qu'enclave sacrée (haram), au même titre que la Kaaba mecquoise.
         A ce stade de la vie de Muhammad, il n'y a pas encore d'Etat, mais une confédération guerrière, avec une charte, celle de Médine. Concomitamment la révélation coranique prescriptive l'accompagne. La partie introductive du document est fort éloquente quant à sa nature et à celle des groupes qui en sont partie prenante: « ceci est un écrit de Muhammad le prophète, établie entre ceux de Quraysh et ceux de Yathrib qui se sont affidés, et ceux qui les ont suivis et, s'étant joints à eux, ont combattu avec eux. Ils sont une confédération unique, à l'exclusion des autres hommes ». Pour Muhammad, le modèle est Moïse, perçu comme fondateur d'un peuple autour d'une loi de Dieu et d'un objectif de conquête. De plus, il est dit dans la Charte: « chaque fois que survient un différent entre vous, sur quoi que ce soit, l'affaire sera soumise à Allah et à Muhammad [...] Si entre les gens de cette charte survient un méfait ou un conflit dont on peut craindre une détérioration, on soumettra l'affaire à Allah Très-Haut et à Muhammad le prophète ». C'est donc ce dernier qui garde de toute détérioration éventuelle de la cohésion du groupe. Allah lui-même, dans le Coran, ordonne l'acceptation des arbitrages de son envoyé, en même temps que l'obéissance à celui-ci (IV, 64-65).
         Un terme de cette Charte de Médine désigne les adhérents au mouvement de Muhammad: muʼmin (pl. muʼminûn). De nos jours, ce mot est traduit généralement par croyant, ce qui induit un sens religieux individuel et restreint, tel qu'on le conçoit dans d'autres cultures. Or la lecture objective, dans le contexte historique du document, comme parfois dans le Coran, révèle dans le lexique islamique les connotations originelles, essentiellement communautaires. Chez les commentateurs coraniques, le pluriel muʼminûn désigne au départ ceux qui se sont portés garants les uns des autres en établissant entre eux un pacte de sécurité mutuelle en cas d'agression et de guerre. Ils "se confient" les uns aux autres, comme dit A.L. de Prémare; ce sont les affidés (du latin afidare : promettre); littéralement "à qui on se fie pour un mauvais coup", au sens propre et ancien du mot fides (foi). Cela est rendu en arabe par âmana, dont muʼmin est le nom du sujet. La signification religieuse n'intervient là que parce que c'est Allah qui se porte lui-même garant de ce pacte de solidarité établi par Muhammad entre les affidés qui croient en la qualification de celui-ci comme prophète.
         Il faut ajouter que nous retrouvons dans le Coran cet usage premier du verbe âmana au sens de "se fier les uns aux autres". Il est dit que le prophète « se fie aux muʼminûn », alors qu'il ne « se fiera point » à ceux qui restent en arrière et trouvent des prétextes pour ne pas engager leurs biens et leurs personnes dans le combat sur le chemin d'Allah (IX, 41, 44, 73 et 81).
         Les affidés « sont une umma unique, à l'exclusion des autres hommes », dit le début de la Charte. Dans le grand dictionnaire classique Lisân al-ʽarab, umma veut dire d'abord groupe, ou groupement humain en un sens neutre. Ici, il ne désigne pas un groupement ethnique ou tribal, mais dans le contexte de l'Arabie d'alors, une confédération entre le groupe de Qurayshites mecquois, nouveaux venus à Médine avec le prophète, et les différents clans et tribus de la zone de Médine. Cette confédération est de nature politique, soudée par l'adhésion au prophète d'Allah. Elle se définit par le fait qu'elle est exclusive de tous ceux qui n'y ont pas adhéré. La finalité de cette organisation est de garantir l'efficacité de l'effort de guerre commun. Celui-ci est exprimé au tout début de la Charte par le mot jihâd, qui sera précisé plus tard par l'expression "le combat sur le chemin d'Allah". Une réglementation stricte, dans une casuistique pointue, fait qu'un affidé croyant peut échapper à une sanction, même s'il est coupable, si la victime est étrangère au groupe. Cette solidarité est d'abord un réflexe de survie du groupe, dira l'historien Muhammad Talbi, pour justifier les violences des débuts de l'Islam, « car il s'agissait de la défense et de la pérennité de la umma primitive ». Ce n'est pas un hasard si, lorsque le Coran dit: « les croyants sont seulement des frères » (XLIX, 10), il utilise la particule grammaticale innamâ qui comporte un sens exclusif, mais aussi un effet amplificateur qui dynamise la phrase nominale. Elle est à mettre en perspective avec la particule illâ, l'exceptif du cri monothéiste « il n'y a point de divinité sauf (illâ) Allah », qui charge la phrase nominale, ici négative, d'un exclusivisme farouche. Dans ces deux exemples, nous avons bien plus que des procédés, mais de véritables stratégies stylistiques qui visent un impact et un résultat commun: la mise en valeur de l'aspect absolu et  de la retombée catégorique dans le mental des croyants.  D'ailleurs, le commentateur al-Râzî affirme que la particule innamâ est là pour signifier la restriction: « pas de fraternité sauf entre Musulmans ». Il explique son interprétation à l'aide de prescriptions légales qui évacuent radicalement une quelconque fraternité entre un Musulman et un infidèle, lequel ne peut en aucun cas hériter d'un Musulman.
         Allah rappelle à maintes reprises aux Musulmans, qui sont les seul croyants dès le Coran: « vous êtes la meilleure communauté qui ait été produite pour les hommes; vous ordonnez le bien, interdisez le mal, et vous croyez en Allah » (III, 110). A partir de là, l'islam a considéré la supériorité de la communauté des croyants comme le premier ciment entre eux: ils ont pour signe distinctif le discernement entre la croyance et l'infidélité, le bien et le mal.
         De l'invincible affirmation de l'unicité d'Allah dérive le sens très ardent que possède le Musulman de l'unité qu'il forme avec ses frères dans la même foi.  Ils sont missionnés par Allah pour défendre ses droits sur terre. Ils sont ses serviteurs élus et chargés par lui de l'exécution du plan divin qui coïncide avec les prescriptions sociopolitiques descendues sur son prophète pour l'humanité et pour le triomphe de l'islam sur toute religion (IX, 33).
         Ce bref rappel des sources de l'Islam à Médine permet de saisir la notion de "domaine de l'islam" (dâr al-islâm) dans ses rapports avec les infidèles. Il désigne l'ensemble des terres où est observée la loi coranique. Il est la représentation concrète de l'organisation politique de l'Islam.  A côté du domaine de l'islam existe le "domaine de la guerre" (dâr al-harb), appelé également "domaine de l'infidélité" (dâr al-kufr). Le conquérir est un "devoir collectif" pour installer la umma qui défend les droits d'Allah.
         Une telle répartition du monde rend un aggiornamento techniquement difficile car le Droit islamique classique est structuré selon un schéma précis de toute société islamique: 1. les hommes et les femmes; 2. les personnes libres et les esclaves; 3. les Musulmans et les non musulmans.  Tous n'ont pas les mêmes droits ni les mêmes devoirs. Bien entendu la communauté des croyants est privilégiées en raison de son origine sacralisée dans le Coran.  Un Etat islamique se veut à transcendance divine, coranique et chariatique. Ses terres sont des terres d'Allah, du Coran et de la loi d'Allah. Cette soumission à une transcendance se trouve dans la disposition, par constitution, que l'islam "est la religion de l'Etat", et pas seulement "religion d'Etat".  L'Etat fait profession d'islam. Dans un Etat islamique, l'adhésion à la communauté ne pose point directement la question d'une vie nouvelle, au sens de la rénovation individuelle par la vie de la grâce (celle de l'homme nouveau de Saint Paul), car l'islam est une religion de la masse, de la collectivité. Elle est essentiellement un état, un statut juridique (hukm), directement voulu et décrété par Allah. Les individualités qui s'y soustraient sont traquées, persécutées, voire mises à mort par l'islam officiel traditionnel.

2. Réception et application des sources fondatrices par le croyant.
        
         Fondé sur une révélation coranique sans progression, et sur l'imitation de l'exemple muhammadien, l'islam se dit, depuis l'époque médinoise, "religion et Etat" (dîn wa dawla), et également "religion et monde [d'ici-bas]" (dîn wa dunya). En raison de l'origine divine des deux paradigmes, on exclut toute interprétation qui viserait à déroger pour une histoire ou pour un espace humain, nécessairement reconnu comme inférieur au divin.
         Dans les temps contemporains, l'expression des deux binômes est visible dans la confrontation voulue par l'islam entre son modèle propre et le modèle occidental des sociétés modernes (d'accueil): lors de manifestations islamiques, en pays islamiques ou en pays occidentaux en crise minés dans leurs racines, les Musulmans manifestent en brandissant des bannières couvertes de slogans symptomatiques: « l'islam est la solution », « le Coran est notre constitution »; on a même vu à Luton, au Royaume Uni: « la sharîʽa est notre Droit ».
         Depuis les années 70, sous la pression de la masse, la revendication islamique s'est organisée paradoxalement au sein d'une classe instruite, ou semi-instruite, souvent formée en Occident et rompue aux techniques les plus évoluées des sciences appliquées et des sciences dures. L'Occident, tel qu'il était perçu par les Musulmans, a été identifié à la modernité. De son côté l'islam, tel qu'il s'exprimait, s'est identifié à la tradition. La rencontre des deux faisait difficulté majeure. A ceux qui osent proclamer: « la religion est à Dieu mais la patrie est à tous », la réplique de l'islam qui se veut authentique, est nette: ceci est valable pour des sociétés qui ont toléré des théories évolutionnistes d'un Darwin ou d'un Walace pour la biologie, ou d'un Spencer pour la philosophie morale, ou encore le matérialisme marxiste. Ces sociétés ont perdu le sens du sacré et du divin. Dans la société islamique, le statut juridique (hukm) de leurs disciples doit être celui des infidèles. Ces doctrinaires élargissent ces idées à une possible interprétation islamique de la société: la laïcité peut s'exercer si elle signifie la stricte séparation de la religion et de l'Etat, mais à condition que la umma soit déclarée "source des pouvoirs". Cela correspondrait au principe démocratique dans les sociétés modernes: le démos (dans démocratie) est reconnu dans la umma, communauté humaine sacralisée dans le Coran.
         Les bédouins, vivant en marge des entités politiques constituées, respectaient une hiérarchie certaine, au sommet de laquelle se trouvait le seigneur (ou maître: sayyid). Son autorité reposait sur ses qualités, mais surtout sur la lignée à laquelle il appartenait (nasab). Il pouvait être contesté à l'occasion d'une déficience ponctuelle, mais la qualité de noble (sharîf) continuait à faire bénéficier les descendants des vertus de leurs ancêtres. Cette idée, trouvant son principe même dans le prophète de l'islam, est devenue la règle absolue dans tous les pays islamiques.
         Le Coran se fait l'écho de la revendication de la suprématie politique au profit du prophète. Il est répété qu'il faut « obéir à Allah et à son envoyé » (IV, 59 -69), puis, explicitement affirmé que « quiconque obéit à l'envoyé, obéit à Allah » (IV, 80), voire que « [Dieu n'a] envoyé de messager que pour qu'il soit obéi » (IV, 64).  Cette autorité revendiquée par le prophète est bien celle d'un juge qui arbitre dans les affaires temporelles des hommes; c'est Allah lui-même qui dit au prophète: « ils ne seront pas croyants aussi longtemps qu'ils ne t'auront demandé de juger de leurs disputes et qu'ils n'auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu'ils se soumettent complètement à ta sentence » (IV, 65). Il y a ainsi un lien causal entre révélation et pouvoir temporel: « nous avons fait descendre vers toi le Livre avec la Vérité pour que tu arbitres entre les hommes selon ce qu'Allah t'a appris » (IV, 105). Aussi n'y eût-il presque  aucune opposition à ce que, à la mort du prophète, son lieutenant (ou vicaire: sens du mot calife) assume la fonction à la fois de chef spirituel et de souverain temporel et chef de guerre.  Il y a eu de nombreuses contestations, des conflits sanglants et des assassinats politiques autour de l'attribution de cette fonction à tel ou tel, mais jamais sur la légitimité de cette fusion des deux fonctions.
         De plus, la tradition (sunna: ensemble des traditions prophétiques) met en avant les mérites intrinsèques de la famille du prophète. Un hadîth ordonne: « vénérez Muhammad dans les personnes de sa famille » (Bukhârî). D'où l'annexion par l'islam de la notion antéislamique de sharîf (noble), mot qui désigne désormais un descendant de Muhammad, la noblesse de celui-ci rejaillissant sur tout membre de sa lignée. D'où quantité d'acrobaties des généalogistes pour faire descendre du prophète tel autocrate berbère, comme Ibn Tûmart qui est à l'origine de l'Empire almohade, ou turc, comme les Ottomans qui reprirent à leur profit le califat en principe réservé à un membre de Quraysh (la tribu arabe du prophète).
         La conception orthodoxe du pouvoir a été clairement exprimée au XIe siècle par le grand classique de Droit public islamique, Les statuts gouvernementaux de Mâwardî (m. 1058). Le pouvoir n'appartient qu'à Allah, qui le délègue à son prophète, lequel le délègue à ses lieutenants (califes), lesquels, à leur tour, le délèguent aux autorités particulières: ministres, chefs militaires, juges, etc. jusqu'à l'échelon le plus bas. Loin d'être un ouvrage de philosophie politique qui serait un chaînon entre la Cité vertueuse de Fârâbî (m. 950) et les Prolégomènes d'Ibn Khaldûn (m. 1406), ce traité, schéma de la parfaite théocratie, est une synthèse originale et détaillée qui voulait concrétiser une méditation marquante sur la nature du sunnisme politique après le désordre causé par des princes chiites.
         Peu de temps après Mâwardî, le califat a été obligé de se replier sur ses fonctions religieuses et de céder le pouvoir temporel et politique au sultan, ce qui est advenu aux Turcs seljukides. Mais on a maintenu la fiction initiale en présentant cet abandon comme une simple délégation d'autorité.
         Ce pouvoir politique et temporel, fondé sur une délégation provenant d'une autorité spirituelle, aurait dû en principe ne pas survivre à l'abolition du califat par Mustafa Kémal en 1923. Or, paradoxalement, il en résulta, étant donné des habitudes prises, que les régimes laïcs existants ont tout simplement absorbé les prérogatives du califat. Aussi, dans un pays prétendument laïc comme la Syrie, le prône du vendredi doit-il encore être fait au nom du chef de l'Etat; comme autrefois, ne pas le faire est considéré comme un geste de rébellion, puni comme tel.
         Il n'y a point, dans le monde islamique, cette sorte de nostalgie qui anima les démocraties modernes à l'égard de formes qui paraîtraient très contestables, mais qui montrent l'ancienneté de l'idéal: les cités grecques, les cantons suisses, les mouvements protestants depuis la Bohème hussite jusqu'à l'Amérique, etc. Bien au contraire, la nostalgie du monde islamique renvoie, pour certains jusqu'à l'ivresse,  aux grandes périodes de succès militaro-politiques, et par suite aux périodes où le pouvoir du souverain islamique dominant était le plus fort.
         A notre époque on voit certains s'extasier devant l'importance donnée, depuis la Révolution iranienne, aux  économiquement faibles (mustadʽafûn) évoqués déjà dans le Coran. De fait, les mouvements fondamentalistes se sont empressés à créer des organismes d'aide aux démunis, ce qui leur vaut sympathie populaire et suffrages lors des élections. Mais ici une réserve importante s'impose: cette aide reste réservée à l'intérieur de la communauté islamique; elle ne s'adresse pas aux non croyants et infidèles à l'extérieur, si ce n'est à de très rares exceptions, en terre non islamique, lorsqu'il s'est avéré opportun de rivaliser dans les banlieues de certaines grandes villes en France avec les Restos du cœur.
         « Tout périt sauf sa face », dit le Coran. Ramon Lull, au XIIIe siècle, louait des Musulmans de ce que quiconque faisait apprendre un métier à son fils, quelle que soit sa richesse, car rien n'est stable en ce bas-monde.  Ce qui conduit à ne considérer les hiérarchies temporelles et politiques que comme des données de fait, non de droit. L'histoire abonde d'exemples d'hommes de religion tançant le souverain en l'appelant non pas roi (malik), mais faqîh (jurisconsulte), se plaçant ainsi au même rang que lui car les hommes de religion ont toujours revendiqué qu'ils étaient détenteurs du savoir religieux, lequel en islam est la seule source d'autorité. Mais il y a plus: à l'exception du chiisme qui a un clergé structuré hiérarchiquement, la grande majorité de l'Islam ne connaît pas de hiérarchie absolue.  N'importe quel cheikh de quartier peut formuler une fatwâ (consultation juridique) contredisant le cheikh al-islâm du gouvernement. Le premier sera suivi par nombre d'adeptes.  Le problème majeur de notre temps est que les mouvements extrémistes, voire terroristes, s'appuient sur de tels hommes de religion qui exploitent leur aura personnelle face aux compromissions supposées et reprochées à leurs collègues en place.  Même la hiérarchie chiite peut être subvertie; le cas de Khomeynî l'illustre bien: il n'était pas l'ayatollah le plus important, titre appartenant à l'ayatollah Madarî, mais il put l'écarter en s'appuyant sur le mouvement des économiquement faibles indiqué plus haut.
         Dans l'apologétique moderne, la question lancinante depuis la mise en contact forcé du monde islamique avec l'Occident est: pourquoi les Musulmans sont-ils en retard, et comment, alors qu'Allah leur a donné pendant longtemps la victoire et la supériorité, les a-t-il abandonnés au point qu'ils aient été soumis à l'infidèle? La réponse depuis Tahtâwî, qui visita la France et connut la révolution de 1830, est double. D'une part, pensent les Musulmans, il est possible de prendre à l'Occident son acquis scientifique et technique, qu'il n'a obtenu que grâce à la transmission par les Arabes du savoir antique, en le détachant de l'arrière-plan moral et idéologique, lequel est dans son ensemble foncièrement pervers. D'autre part, si on devait reconnaître à l'esprit occidental des points positifs (liberté, égalité devant la loi, soif du savoir ...), ces qualités appartenaient déjà au monde islamique qui les a juste oubliées par la faute des intrusions d'étrangers dans son histoire; il suffit donc de les restaurer dans leur forme primitive.
         Cette vision du monde a le grave inconvénient d'ignorer le lien ontologique entre la mentalité générale et l'activité scientifique et technique, comme l'ont montré des analyses de Max Weber sur l'esprit du capitalisme. Se sont alors multiplié des ouvrages sur les valeurs islamiques des premiers temps de l'islam, rejoignant ainsi l'idéal des "réformateurs" de la fin du XIXe-début XXe siècle qui conclut que point de salut pour les Musulmans sauf dans un retour aux anciens (salaf) des temps de Médine. De ces faits, tant que l'islam reste politique, les Etats islamiques, même s'intitulant "république", demeurent des théocraties où votes et  élections sont étroitement contrôlés par les défenseurs de l'orthodoxie religieuse.  Ce qui se passe en Iran, ou en Egypte sous les Frères Musulmans, ou encore en Turquie jusqu'à présent (l'effort de laïcisation d'Ataturk s'est arrêté avec sa mort en 1934), en est une claire démonstration.
         Cependant, des signes (nous n'en présenterons que quelques-uns) d'une possible évolution permettent l'espoir: En 1925, un an après la suppression du califat, un cheikh d'al-Azhar, ʽAlî ʽAbd al-Râziq, a répondu à l'émotion publique générale en affirmant que l'islam est un message purement intérieur, qui n'aurait jamais dû être érigé en système politique. Le califat était donc une dérive, et même une trahison.  Cet auteur fut radié de son poste et condamné mais, fils d'une grande famille, il ne fut pas exécuté. De nos jours son livre est repris par certains. Le Soudanais Mahmûd Muhammad Taha a poussé plus loin ce refus de toute politisation de l'islam. Là où le premier acceptait que la personnalité du prophète lui ait donné le droit de diriger temporellement ses adeptes, Taha considérait que, dès l'hégire et dès le moment où Muhammad est devenu chef temporel et politique, il y a détournement de la religion. Sans pour autant condamner ce qu'a fait le prophète à Médine, il le considérait comme n'ayant aucune valeur en dehors de ce contexte. Or c'est cela précisément qui est à la base du Droit islamique. Pour Taha, en revenant à la seule partie de la révélation d'avant l'hégire, quand Muhammad était seulement prédicateur libre de toute attache mondaine, on retrouverait la vérité de l'islam spirituel. Cette position comporte des difficultés qu'il n'est pas lieu de discuter ici. Mais bien que Taha ait été condamné et pendu, l'idée chemine et gagne des adeptes au péril de leur vie. Ils rêvent d'un islam purement intérieur, ne retenant que les enseignements spirituels intemporels qui pourraient s'accommoder de n'importe quel régime politique.
         Malheureusement, en Europe et en Occident plus généralement, si beaucoup de Musulmans d'un certain âge, notamment émigrés, évoluaient inconsciemment vers cette conception, les jeunes générations, gagnées par le phénomène de réislamisation, revendiquent, eux, l'intégralité de leur héritage historique et le droit de le faire prévaloir sur les lois modernes tant en pays islamiques qui les adoptèrent à partir du XIXe siècle, à l'imitation de l'Europe, qu'en pays occidentaux d'immigration.
         Encore aujourd'hui des Musulmans réclament une réforme de cet islam politique né à Médine et radicalement incompatible avec les cultures et les civilisations du reste du monde.  Fort minoritaires et menacés, ces Musulmans s'exilent en Occident pour éviter l'assassinat "religieux" dans leur pays d'origine. Ils œuvrent individuellement, chacun avec son analyse, son approche et son propre angle de tir. Dans les années 90, l'Egyptien Nasr Abû Zayd écrit un essai intitulé Repenser le Coran. Il y affirme que dans le Coran c'est Allah qui parle, mais que c'est un être humain qui l'a écrit. De plus, lorsqu'on rend compte de paroles quarante ans après qu'elles aient été dites, il y a nécessairement approximations, erreurs, amplifications ou réductions qui peuvent survenir. Nasr Abû Zayd finit sa vie en Europe, privé de sa famille, sa femme empêchée de rejoindre un "apostat". Il semble cependant que le couple ait pu se réunir ultérieurement.
         En 1994, Saʽîd al-ʽAshmâwî publie Vérité du voile islamique et argumentation selon le hadîth. Il y fait la démonstration que rien, dans les textes sacrés, n'oblige au voile, lequel demeure un strict marqueur politique.  Beaucoup d'autres écrits ont suivi. Ce livre actualisé a été réédité en 2003, car le voile était devenu alors une affaire d'Etat et un symptôme agressif délibéré de la présence islamique en Occident, avec ses interrogations et ses difficultés. D'aucuns ne pouvaient imaginer ce qui allait advenir dans les décennies suivantes. En 2004, le même auteur publie, dans la revue Al-Jumhûriyya du mois de janvier, dans une série d'articles circonstanciés, des textes issus des traités classiques de Droit islamique où il est précisé, entre autres, « qu'il n'est pas permis à un Musulman de demeurer dans un pays non islamique - en tant que tel territoire impur de la guerre (dâr al-harb) - plus de dix jours [...] 1. le temps de payer la rançon d'un captif musulman, 2. celui de s'acquitter d'une représentation d'ambassade, 3. de payer un marché conclu aux frontières ». L'auteur s'interroge donc sur « les motivations des Musulmans qui se fixent en Occident contre tout principe légal (sharʽî) islamique, avec leurs lois qu'ils cherchent à imposer, leur culte dans ce qu'il a de plus inadéquat dans la modernité de ces pays, leur mode de vie imperméable aux autres de par son caractère confessionnel astreignant [...]. Ils s'acharnent à islamiser tout ce qu'ils touchent ou qui les touche. Ce faisant ils ne respectent pas leurs propres textes. Ceci n'est pas l'islam non plus ». Bien que al-ʽAshmâwî ait été le magistrat conseiller d'Anouar al-Sadate, et une illustre figure  des "Fondamentalistes rationalistes", il vit depuis cloîtré sous protection policière, plusieurs fatwâ ayant rendu son sang halal . C'est ce même auteur qui, dans son livre Le califat islamique, de 1992, dénonçait la schizophrénie chez les Musulmans qui a abouti à une mémoire sélective funeste lorsqu'il s'agit de leur histoire remplie de massacres et de destructions « entre Musulmans, sans nul besoin ni d'étrangers aux Arabes, ni de colonisateurs » (p. 17-18). En même temps il défendait sans ambages le concept du califat comme étant le pouvoir centralisé dans la personne du calife, pivot essentiel de l'histoire politique de l'Islam. Le califat islamique est le pôle où se réalise le sens de l'histoire, et où s'est cristallisée la pensée politique de l'islam, mais des groupes islamistes en ont perverti le principe en  ramenant la demande de son retour à la recherche de la gloire passée de leur époque d'or. Ils ont aggravé cette illusion en confondant l'idée de gouvernance avec le commandement du califat en Islam. Ils se sont mépris sur l'autorité religieuse et sur celle civile et ont confondu l'islam et l'histoire de l'islam.
         Pour al-ʽAshmâwî, le califat n'est point un mauvais concept en lui-même, mais ce sont les Musulmans qui l'ont corrompu: dans le Coran, le prophète n'avait pas de gouvernement, dans le sens moderne, ni ministère, ni administration, ni police, ni magistrature, ni monnaie frappée à son nom; il n'imposait pas de taxes particulières. Ce qu'il prélevait comme aumône ou capitation, et comme butin, n'était que son droit en tant que prophète, tel qu'il est dit dans le Coran, et non en tant que gouverneur, roi ou prince. Cela veut dire que le prophète n'a pas gouverné en tant que roi; mais en tant que prophète de Dieu, envoyé aux hommes. Les prélèvements qu'il prenait ne sont qu'obéissance à des versets descendus d'Allah dans le Coran (IX, 103; LIX, 7; VIII, 41; etc.). Finalement, « la vile confusion de la religion avec la politique et de la prophétie avec le pouvoir et son rôle, a abouti à une conséquence extrêmement grave et infiniment préjudiciable au cours du roman islamique et général des fléaux en Islam ».

3. L'islam en Occident: laïcité et Eglise.
        
         De nos jours, les Musulmans qui persistent à vouloir vivre en domaine d'infidélité (dâr al-kufr) se mobilisent pour défendre « l'islam et les droits d'Allah », premier devoir du croyant avec celui d'étendre dâr al-islam à la terre entière. Pour le monde extérieur, ils affirment que la compatibilité existe bien entre islam et laïcité dans la stricte mesure où « les droits en laïcité ne s'opposent point aux droits de Dieu ». Nous sommes encore et toujours dans le cercle hermétique de la réflexion-réflexe islamique. D'aucuns objecteraient que textes et sources évoquées ici sont le choix des islamistes, c'est à dire ceux de la doctrine extrême de l'islam. En fait, islamistes et Musulmans ordinaires ont le même appareil de référence. Les textes sont uniques comme Allah est unique pour tous les croyants, quelle que soit l'intensité de la praxis de chacun: Musulman sociologique, Musulman libéral, islamiste modéré, islamiste violent, etc. Les événements dans le monde arabe et islamique et dans le reste de la planète confirment ce qu'enseignent les textes et l'histoire de l'islam. La réalité les a même dépassés au-delà de l'imaginable avec Daesh, l'ultime épreuve tragique infligée aux hommes et plus particulièrement aux Chrétiens  en terre d'islam. Intéressé mais moralement naufragé, l'Occident laïque s'est pris d'engouement pour les "islamistes modérés". L'adjectif est devenu une épithète de nature. Par naïveté peut-être, par veulerie sûrement, l'Occident, qui avait été jugé avec mépris par l'islam, lui a donné raison. Quant à espérer voir émerger un islam libéral, à la manière du judaïsme libéral qui vit à côté du judaïsme orthodoxe, force est de rappeler que celui-ci ne met pas à mort le premier. 
         Certains pensent que l'islam n'est pas davantage un bloc monolithique que ne l'avait été avant lui la plupart des systèmes politico-idéologiques, tel le communisme. En fait, en tant que mouvement il peut connaître des évolutions ou des polarisations qui pourraient modifier ses logiciels doctrinaux, mais rien au monde ne pourrait changer l'esprit de l'islam et de son enfant naturel, l'islamisme, tant qu'ils sont otages du même divin.
         Sans détour, l'ISESCO (Organisation Islamique pour l'Education, les Sciences et la Culture) a émis, en 2000,  un document dans lequel les Etats islamiques exposent les moyens du dispositif qu'ils activeront pour installer une civilisation de "substitution" à la place de l'occidentale. Le document détaille les outils à employer par les Musulmans: la taqiya (dissimulation légale), que le croyant est autorisé à pratiquer lorsqu'il s'agit de « protéger sa personne, ses biens et l'islam »; de même est préconisé un certain dialogue avec les occidentaux qui peut s'avérer utile aux différentes façons de s'introduire dans les failles de nos sociétés fragilisées par leur tolérance. Le but explicite, in fine, est d'imposer la loi chariatique. Ce document est de la même veine que la Déclaration des droits de l'homme en Islam, de 1979, laquelle proposait des droits spécifiques vus à travers le prisme chariatique, et se terminait par: « telle est la loi islamique, parfaite en ses dispositions, efficace en ses injonctions et juste en ses sanctions. Elle est parole d'Allah pour tout soumis (muslim) ».
         Le Turc Erdogan a repris en 1996, ce que l'Algérien Boumediène disait en 1974 à l'ONU: « nous vous conquerrons par vos valeurs démocratiques et nous vous gouvernerons par nos valeurs islamiques [...]. Les mosquées sont nos casernes, les coupoles de nos mosquées nos casques, les minarets nos baïonnettes et les croyants nos soldats ». Ces allégories, pour poétiques qu'elles soient, indiquent la conviction islamique des croyants visant l'Occident.
         Dans son livre Les banlieues de la République, le politologue Gilles Kepel révèle les défaillances de l'Etat français qui ont favorisé un islam rigoriste violent, lequel a pris le pouvoir dans de gigantesques banlieues de villes françaises: « la faiblesse des pouvoirs publics et la naïveté complice de l'Eglise font que le Tabligh (mouvement prosélyte hyperactif) recrute encore des adeptes en dépit de la concurrence farouche des salafistes soutenus par l'Arabie saoudite et le Qatar ». L'Université Libre de Bruxelles a organisé un colloque, le 13 novembre 2010, intitulé: Une majorité musulmane à Bruxelles en 2030: comment nous préparer à mieux vivre ensemble. Les actes de ce colloque ont été publiés et diffusés sur Internet (www.lalibre.be/regions/bruxelles/une-majorité-musulmane-en-2030-51b8e36be4b0de6db9c500a3). A la même époque, se basant sur une enquête de l'IFOP et sur le critère de la pratique religieuse, le Gatestone Institute conclut que l'islam est déjà la première religion en France (www.gatestoneinstitute.org/2355/france-islam-overtaking-catholicism).  
         Force est de constater que l'idéologie dominante a fini par contaminer l'Eglise. Cette idéologie est serinée par les média et des intellectuels spécieux, faite de nihilisme grimé en compassion pour les "minorités" nécessairement damnées de la nation, de volonté positive de confusion entre les normes et les marges, de déni des réalités et de culture pharisienne du mépris pour tous ceux ne la suivent pas. Le "vivre ensemble" a généralisé l'idée que les populations majoritaires ne bénéficient d'aucun droit d'antériorité sur les nouveaux arrivants. Leurs droits doivent s'effacer devant un droit universel à l'immigration. L'Eglise catholique s'est insérée, au nom d'une charité chrétienne égarée, dans la collusion des partis politiques occidentaux. Imperceptiblement, elle s'est trouvée se mêler de politique, faisant fi de sa propre doctrine sociale, tout en conservant la forme sémantique sans le fond. Des magistrats d'une justice mal rendue, des hautes institutions d'un Etat, de nombreux intellectuels, ainsi que la plupart des mass média ont ouvert les bras à un islamisme déchaîné, se révélant un grand danger politique, social et sécuritaire. L'Eglise a occulté les fondements de sa doctrine sociale pour s'occuper d'une nouvelle religion appelée "droits de l'homme et humanitaire".  Des jeunes religieux impatients d'intégrer le courant à la page iront jusqu'à dire: « le dialogue fait partie de l'identité de l'islam, à la fois fondé sur le Coran et pensé par les grands théologiens musulmans ». En mars 2013, s'est tenu une journée d'étude à l'Université catholique de Lyon consacrée à L'islam en France, dont plusieurs interventions consacrées aux publications des Editions Tawhîd. Il s'agit d'une maison fondée par Tariq Ramadan et sa famille dès son retour sur le territoire français en 1997, retour réclamé au ministère et obtenu par deux prêtres catholiques: Christian Delorme et Gilles Couvreur. Frère spirituel de Tariq Ramadan, Tariq Oubrou, imâm de la grande mosquée de Bordeaux y exposa son projet pour le renouveau de la pensée islamique "française". Le compte-rendu du colloque a été enthousiaste.
         Or l'imâm Oubrou, proche de la mairie de Bordeaux, avait réussi à empêcher la soutenance d'une thèse à l'Université de Bordeaux III de l'un de mes doctorants au motif que le sujet (L'application de la théorie des codes au texte coranique) était blasphématoire:  on ne peut appliquer à la parole d'Allah ce qu'on applique aux autres textes. L'imâm Oubrou donne des conférences dans toute la France et a ouvertement prêché que « le califat est une obligation; tant que les Musulmans ne sont pas réunis autour du califat, ils sont des pêcheurs » (http:islamineurope un blog.fr, 2011/02/11). Quant à Tariq Ramadan, il a pu, en 1997, donner son cours public durant un an à l'Institut Catholique de Toulouse, dans une salle comble, et la police aux portes pour filtrer la sortie des croyants et des croyantes galvanisés.
         Dans un article du Point du 17 janvier 2007, Malek Chebel, anthropologue musulman vivant en France, déclarait: « l'avenir est à l'islam; entre 2020 et 2050 l'islam sera la première religion monothéiste », opposant le christianisme "religion compassionnelle" à l'islam "religion virile" par définition.
         En mars 2012, autorisé par le délégué au dialogue islamo-chrétien de l'archevêché de Toulouse, un imâm de la mosquée du Mirail demande et obtient de "présenter l'islam" à des clarisses cloîtrées, lesquelles refuseront par la suite d'entendre autre chose, confiante qu'elles sont en leurs supérieurs hiérarchiques. Périodiquement, des groupes soufis s'installent au monastère bénédictin d'En Calcat pour chanter leurs hymnes (dhikr) avec ceux qui le veulent parmi les moines (cf Magazine du Doyenné des Crètes, mars 2012). Lors du forum chrétien-musulman à Rome, la délégation islamique comptait sept convertis à l'islam sur vingt membres, tandis que la délégation chrétienne écartait soigneusement un Magdi Allam dont le baptême avait été dénoncé violemment par des Musulmans et valu au Pape Benoît XVI une campagne de presse de critiques acerbes islamo-chrétiennes organisée par des prêtres catholiques.
         Le 9 septembre 2014, un communiqué conjoint du SRI (Service épiscopal des Relations avec l'Islam) et de l'Œuvre d'Orient, intitulé « refusons l'instrumentalisation de la tragédie en Irak » (www;saphirnews.com/refusons-l-instrumentalisation-de-la-tragédie-en-irak), révèle que le souci majeur de ces professionnels du dialogue n'est pas de sauver les Chrétiens, mais de sauver le dialogue. Il conclut  par un véritable chantage: « cette situation tragique ne peut être instrumentalisée pour nuire en aucune manière au dialogue islamo-chrétien. Ce dernier est plus nécessaire que jamais. Les Chrétiens n'auraient pas d'avenir en Orient sans ce dialogue ».  C'est vouloir ignorer les déclarations du cardinal Sfeir, de Mgr Sako, du P. Boulad et de bien d'autres qui montrent l'inanité de ce dialogue en Occident et sa stérilité pour les Chrétiens d'Orient chez eux.
         Le terme dialogue signifie échange, sinon tout à fait à égalité du moins dans le respect de chacun pour la parole de l'autre, sans préemption, présupposé ou prédétermination. Etourdis par le dialogue unilatéral, il arrive que des hommes d'Eglise se trompent en voulant juste plaire à cet impétueux courant. Ainsi, le cardinal Barbarin raconte-t-il: « jeune séminariste, un vieux prêtre m'a dit: apprend la shahâda par cœur. Peut-être un jour seras-tu au chevet d'un Musulman en train de mourir.  Si tu veux l'aider, mets-le en face de Dieu en lui rappelant les mots de son enfance qui tourneront son cœur vers Dieu. Et je l'ai fait avec grande joie » (conférence à la cathédrale Saint Louis de Versailles le 4 janvier 2011). Par principe, « prononcer la shahâda devant témoins et avec conviction » suffit, au regard de l'islam légaliste, pour être reconnu comme musulman. Naguère on enseignait que le devoir de tout Chrétien est d'offrir l'annonce évangélique à toute âme durant sa vie et jusqu'à l'ultime instant de celle-ci. L'imâm de la grande mosquée de Lyon Kâmel Kabtane condamne en des mots diplomatiques les massacres massifs des Chrétiens d'Irak six mois après les faits tout en se prévalant de son amitié avec le cardinal qu'il invite en Algérie.
         Le cardinal Tauran, quant à lui,  déclare: « de toutes façons, il n'y a pas d'alternative: soit nous choisissons le dialogue, soit c'est la guerre » (la.croix.com, le 5-01-2015). On ne peut exprimer plus clairement la résignation de l'Eglise face au chantage et aux menaces de l'islam politique.
         L'affaire de Benoît XVI à Ratisbonne, où des prêtres organisent des campagnes dans la presse pour s'indigner avec des Musulmans de l'offense faite à Muhammad et à l'islam, et qui nuit au dialogue islamo-chrétien, se passe de commentaire. Enfin, sur son site, le 11 janvier 2019, le diocèse de Saint-Denis, près de Paris, publie un message vitupérant un groupe appelé Jésus le Messie, qui annonce le Christ dans des forums itinérants en France: « ce groupe n'a aucune légitimité. Il rassemble des personnes organisées en lobby islamophobe ». Le message dénonce l'idéologie de ce « forum qui prêche le rejet de l'autre [... et prône le] refus de dialoguer avec les Musulmans en dehors d'une volonté affichée de les convertir au christianisme ». Finalement, il invite les Chrétiens à ne pas se laisser abuser par les « prophètes de malheur ». Désormais, aux yeux des adeptes du dialogue, annoncer l'Evangile est un délit, évangéliser est un crime.
         Peu avant la prise de Jérusalem par les armées islamiques en 634, l'évêque Sophronios, affligé, a dit: « les Agarènes sans Dieu ont conquis la Bethléem sacrée. Dorénavant, les Chrétiens doivent rester à l'intérieur de la ville. Nous devons maintenant tenir compte du glaive barbare et sauvage des Sarracènes qui a été tiré avec une cruauté réellement diabolique ». Lorsque l'islam apparaît au début du VIIe siècle, plus de 90% des habitants du Moyen Orient dans l'Empire byzantin sont chrétiens.  Au début du XXe siècle, leur nombre atteint moins de 25%. Aujourd'hui, il est inférieur à 5%, tandis que les Musulmans dépassent les 90%.
         Dans ces temps difficiles, l'analyse de saint Thomas s'avère prophétique: les trois religions monothéistes ont, certes, en commun la foi en un Dieu Un et Révélant, par opposition aux religions asiatiques et à l'animisme; mais il fait une double distinction qui nous étonne par son actualité: pour ce qui est de l'opposition à la foi chrétienne connue, alors les Musulmans sont plus éloignés du christianisme que les Bouddhistes et les animistes; pour ce qui est de la corruption des valeurs de la foi, alors les Musulmans, après les hérétiques et les Juifs, sont avant les autres païens.
         On peut penser, à la limite qu'une crise d'athéisme s'avèrerait nécessaire. En effet, on sait que l'athéisme chez les Musulmans est le fait de ceux qui n'ont pas renoncé à leur esprit critique. Contrairement aux athées occidentaux, les athées ex-musulmans ne sont ni dogmatiques ni affligés d'un complexe "de supériorité intellectuelle".

 - En guise d'épilogue.

         « Chassez le christianisme et vous aurez l'islam » prédisait Chateaubriand. Le pacte entre les défenseurs des droits de l'homme et les Musulmans en Europe est fondé sur la visée d'une cible commune: le christianisme. Ce pacte est paradoxal et contre nature à cause de la répugnance de l'islam envers les droits de l'homme et la laïcité, tous deux antinomiques à ses enseignements doctrinaux, et du fait que l'islam ne connaît que la défense des droits de Dieu, lesquels sont largement enjambés par l'homme occidental. Ces deux partis, obnubilés par le rejet du christianisme, voudraient réserver à l'Europe le même sort qu'à l'Orient chrétien: une islamisation, avec ou sans armes mais inéluctable, exploitant les accélérations de l'histoire ou des temps d'accalmie ponctuels trompeurs. Sauf de rares exceptions, montrées du doigt de l'opprobre, l'Eglise ne défend plus le christianisme. Lorsqu'elle s'exprime, son discours est empêtré dans le politiquement correct du monde.
         La conférence épiscopale française s'est montrée très diplomate par temps d'attentats islamiques contre des églises et leurs fidèles, de peur de "l'effet surenchère". Les renoncements, les atermoiements et les contorsions langagières de l'Eglise n'ont point désamorcé la résolution des islamistes; au contraire, ils voient dans cette posture les preuves de l'anémie chrétienne en Occident. Tariq Ramadan peut asséner à l'envi que le temps du judéo-christianisme est passé, c'est le temps de l'islam qui arrive.
         Certes le christianisme prône le pardon mais pas au prix de sa propre extinction.

           Marie-Thérèse URVOY

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