vendredi 13 septembre 2019

Colloque du 6 octobre 2019 : " Al Andalus, du mythe à l'Histoire "



Al Andalus, du mythe à l’Histoire.

Présentation du colloque par l’Association pour l’Histoire, association organisatrice :
Relayant l’exotisme orientaliste, une curieuse mode « maurophile » s’est imposée dans le paysage historiographique : la fin de l’al Andalus musulman aurait été une catastrophe historique et culturelle, la Reconquête elle-même, qui a pourtant déterminé, huit siècles durant, l’émergence de la nation espagnole, ne serait qu’une invention d’historiens inspirés par une vision « nationale-catholique » portée par le franquisme.
Cette lecture de l’Histoire va de pair avec la culpabilisation d’une Espagne catholique accusée de tous les maux et avec la valorisation d’un passé musulman paré de toutes les vertus. Ce « paradis multiculturel » favorable au « vivre ensemble » ne correspond cependant pas à l’image idéale que veulent en donner aujourd’hui nombre de ses défenseurs et il apparaît nécessaire de dénoncer les mensonges et les anachronismes, le sort des dhimmi – chrétiens et juifs –n’était en fait guère enviable.

C’est en invitant les meilleurs spécialistes à faire part du résultat de leurs recherches que l’Association Pour l’Histoire entend apporter sa pierre à la construction d’une approche du passé débarrassée des préjugés d’un « historiquement correct » dont les mythes incapacitants n’ont d’autre objectif que de faire accepter par les peuples européens réticents l’utopie multiculturelle que certains s’efforcent d’imposer.

Programme:
Philippe Conrad: Une histoire instrumentalisée au service d’une idéologie.
Serafin Fanjul: La construction du mythe d’al Andalus dans l’historiographie française et européenne.
Dario Fernandez Morera: La vision d’al Andalus chez les historiens anglo-saxons.
Marie-Thérèse Urvoy: Le statut des « dhimmis » et la « tolérance » selon les textes islamiques.
Rafael Sanchez Saus: Le sort des chrétiens d’al Andalus
Dominique Urvoy: L’héritage intellectuel d’al Andalus.
Arnaud Imatz: La « légende noire » espagnole.

Date et Lieu : 
6 octobre 2019
ASIEM, 6 rue A de Lapparent 14 h-18 h

Inscription : 
pour s'inscrire au préalable :  écrire par email à  :  a-p-h@orange.fr




Le dialogue islamo-chrétien: la mésentente (Montargis, 2 fév. 2019) (1/2)




Le dialogue islamo-chrétien: la mésentente
 (Montargis, 2 fév. 2019)

            Le premier devoir de l’honnêteté intellectuelle, chrétienne on non, est de reconnaître que les expressions et les mots employés dans le dialogue islamo-chrétien en donnent une idée sémantiquement imprécise, extrêmement vague.  Beaucoup de clichés, beaucoup d’interprétations erronées, reçues comme des vérités, sont nées du manque d’attention accordée aux sources et d'abus de langage s'agissant des textes qui renseignent sur la vérité et sur l’histoire.
            L’autre travers vient de « professionnels » (1) du dialogue qui font croire que ce qu’ils ne voient pas ou qui ne correspond pas à leur postulat, dans les textes ou dans la vie, n’existe pas.
Nous ne sommes jamais seuls à dialoguer ; la question est toujours de savoir si les partenaires des chrétiens ont du dialogue la même conception qu’eux, car si la relation intime du dialogue et de la  vie, en ce qu’elle a de fondamental, apparaît dans la Bible où Dieu parle à l’homme et l’interroge, et si elle s’accentue encore dans les Evangiles, le premier devoir de la probité intellectuelle est de savoir dans quel esprit les musulmans entrent en dialogue. C’est là qu’interroger le Coran s’avère un présupposé indispensable pour un juste raisonnement.
Dans le Coran, seules deux occurrences concerneraient l’action dialogique : dans  l’édition canonique de Médine, elles sont toutes les deux traduites par « discuter » (2). En fait, dans les deux cas il s’agit du verbe ğādala , qui a donné, en théologie islamique, ğadal, c'est-à-dire la « dispute dialectique ». En outre, le second exemple marque bien qu’on est dans un contexte d’appel à conversion (ad‛u, verbe dont le substantif est da‛wa = mission). Or le musulman doit employer les arguments mêmes que lui fournit le Coran, lequel a contesté les trois mystères constitutifs du christianisme : la Trinité, au nom de l’unicité absolue de Dieu ; l’Incarnation, au nom de Sa transcendance absolue ; la Rédemption, car pour l’islam il n’y a ni péché originel ni, par conséquent, mort en croix du Christ.
Les critiques des dogmes chrétiens dans les textes majeurs islamiques reflètent nettement l’absence de désir de se renseigner sur ce qu’est le christianisme en soi, ni ce qu’il est pour les chrétiens.
L’examen objectif de l’itinéraire islamo-chrétien en dialogue révèle un sévère parallélisme mathématique assumé entre raison et sentiments qui ne se rejoignent jamais : leur fonctionnement n’est pas lié, bien plus, l’un n’est point nécessaire à l’autre. Quelques exemples nous sont offerts sans qu’il en soit traité dans l’exercice dialogique lui-même. Ainsi, de nos jours, parmi les thèmes de l’islam militant, le binôme sacré « satisfaction (riḍwān) et colère (ġadab) de Dieu » est un argument théologique que l’islam évoque comme justification consubstantielle à son action, en tout lieu et en tout temps.  En regard, le fait que Dieu ne puisse condamner personne est devenu actuellement une idée ordinaire chez les chrétiens, ou des personnes de culture chrétienne. De même un ecclésiastique déclarait qu’il suffit que les chrétiens parlent de Dieu, oubliant que le musulman est toujours au-delà de cette proposition car déjà, dans tout événement de sa vie, du plus ordinaire (manger, boire, pratiquer un rapport charnel,…) au plus important (combat, naissance, mort,…) il ponctue sa parole par des formules coraniques où Allah est toujours invoqué (bismillah).
Le dialogue, élevé de nos jours au rang de qualité humanitaire, n’était même pas un thème majeur ni dans le débat ni dans l’immense corpus conciliaire de Vatican II (considéré pourtant par l’opinion publique comme le promoteur du dialogue). Le vocable même « dialogue » n’y a qu’une cinquantaine d’occurrences, sans développements théologiques particuliers.
Dans un enchaînement de textes, un texte pontifical extérieur au concile lui-même, l’encyclique Ecclesiam suam, sortie le 6 août 1964 on voit apparaître l’idée et le vocable « dialogue »: il s’agit du « dialogue du salut », lui-même induisant automatiquement « l’obligation d’évangéliser » et rappelant « le mandat apostolique …, le devoir d’apostolat … » (n° 52).
Le texte est net et quasi inspiré lorsqu’il rappelle la relation entre Dieu, Révélation et Salut, et l’homme, et montre que cette relation est dialogue. En christianisme, l’exemple sublimé et transcendant est sans doute dans la Sainte Trinité, avec l’Incarnation qui est son épiphanie en Jésus Fils de Dieu. De ce fait le dialogue interne du Dieu trine est inhérent à la vie du Chrétien son enfant (n° 55 et 57). C'est le sens même de la Trinité.
Par conséquence le dialogue se trouve avoir comme objectif la   conversion : « pour convertir le monde …, il faut lui parler » (n° 55). Bien plus, le dialogue est donc « un moyen d’exercer la mission apostolique » (n° 68). Cette « mission apostolique » exclut logiquement « le dialogue des sourires » (comme l’avait désigné ‛Abd el-Majid Charfi à l’Institut Catholique de Toulouse, en février 2008), ou le dialogue idéologique pour obtenir la paix entre les hommes comme le prêche Hans Küng, qui oublie que la conversion peut participer à cette même paix. Comme ses prédécesseurs, Paul VI voulait « unir la pensée divine à la pensée humaine, dans le langage concret de l’homme moderne » (n° 55). On remarquera une similitude éloquente avec le langage et le lexique actuel de l’humanitaire et des Droits de l’homme.
De nos jours, les professionnels du dialogue interprètent à l’envi une sélection dans l’encyclique ES, et réussissent à réinterpréter ce qui concerne l'islam.
Un usage intensif du texte depuis 1964 a permis un glissement progressif qui fait que « mission » et « évangélisation » se sont vues évincer au profit du seul mot « dialogue ». Celui-ci devient l’objet préconisé, non le moyen et la voie pour les deux premières. Ceci sera parfaitement énoncé dans Christus Dominus traitant du devoir pastoral des évêques. Il inspirera le dialogue pour des générations qui iront au-delà, jusqu’à prêcher un déploiement de la Trinité en trois modèles afin de permettre à tout élément exogène une greffe à sa convenance. Depuis quelques années, des thèmes tels que « Trinité et diversité religieuse » sont fort prisés dans les rencontres islamo-chrétiennes  (3). La théologie coranique étant très rarement ouverte à quelque interprétation des accusations contre Chrétiens et Juifs, en raison de l’origine divine du Coran, ce sont donc les Chrétiens qui ont entrepris un travail notoire pour « accommoder » les éléments constitutifs de leur doctrine. Ainsi, lors des Journées romaines  dominicaines de 2009, le partenaire musulmane présent pouvait « expliquer comment fonder le pluralisme religieux dans une perspective musulmane sur la base du Coran » (4). Ce type ordinaire de raisonnement chez les Musulmans trouve en regard deux affirmations chez les Chrétiens : 1. L’importance de la Trinité pour la théologie des religions  («  C’est sur la base de la périchorèse, de la circumcession, qu’une nouvelle théologie des religions peut être élaborée » (5)) ; 2. L’élimination de toute exigence de réciprocité avec l’islam car « le dialogue interreligieux donne l’occasion de comprendre qui nous sommes pour notre propre conversion ; il est un témoignage de l’amour de Dieu dans le Christ. En cela, il ne saurait exiger de réciprocité … [il existe] de nombreuses manières de proclamer le Christ :  verbalement bien sûr, mais il y a aussi des situations dans lesquelles la meilleure manière, c’est notre vie, notre silence, notre martyre …  Certes, les gens qui vivent des situations de violence diront que cette vision est idéaliste, mais pour nous Chrétiens, l’exigence de réciprocité ne saurait être un chemin spirituel » (6). On peut souligner qu’il ne s’agit pas là d’une opinion isolée mais bien du compte-rendu d’une manifestation collective. Ce type de pathos serait juste indécent n’était « le martyre et les situations » des Chrétiens en terre d’islam.
Depuis un demi siècle Ecclesiam suam, Lumen gentium ou Nostra aetate servent de référence à l’activité du dialogue et de caution qui permet de se réclamer de « l’enseignement des Papes et de Rome ».
            Dans la constitution Lumen gentium (7), la notion typiquement conciliaire d’« Eglise peuple de Dieu » a introduit une question à valeur théologale, il s’agit des relations interreligieuses et l’émergence d’un besoin nouveau, chez les Chrétiens : la nécessité du dialogue interreligieux en général et islamo-chrétien en particulier.  Dans le climat politique et idéologique de ces années (conflit arabo-israélien, communisme actif, Woodstock, Mai 68…) le dialogue postconciliaire démarrait saturé des idéologies en vogue en ce temps-là.
- Progressivement, on passait d’une évangélisation qui dialoguait à un dialogue qui n’évangélise pas. Les experts, ecclésiastiques venus du Caire (Dominicains) et de Tunis (Pères Blancs, dont l’installation à Rome coïncidait avec les débuts du concile), opéraient des sélections ingénieuses pour l’établissement  de leurs textes en tant que conseillers techniques des Papes. La terminologie et les références communes aux deux religions, telles que « Abraham, alliance, jugement dernier… », pour ajouter plus récemment « amour de Dieu, amour du prochain, quête de paix, … », servaient d’aliment à leur discours. Cette reconnaissance, même partielle, de la doctrine islamique, fit penser aux Musulmans que c’était le premier pas vers la conversion volontaire à l’islam ; plus les Chrétiens dialoguaient, plus les Musulmans se convainquaient du fatḥ, la victoire de leur mission et de leur devoir religieux accompli en terre d’infidélité  (8). Aussi, au fil du temps, sont-ils devenus plus exigeants, arguant définitivement du dialogue islamo-chrétien jusqu’à aller faire, en son nom, du prosélytisme dans des couvents de femmes cloitrées (9). C'est là la part d'activité islamique dans le dialogue.
            Le processus était engagé en faveur d’une telle position dès le début 1964 lorsque Paul VI, hors concile, prononça un discours, manifestement pré-apprêté par les spécialistes internes du Vatican, qui induisit d’autres équivoques, affirmant sa déférence pour « quiconque professe le monothéisme et, avec nous, rend un culte religieux à l’unique et vrai Dieu …, Dieu d’Abraham » (formule reprise de Nostra aetate). En l’espèce, la désignation « monothéisme » à égalité pour les trois religions est une erreur pour deux raisons factuelles : - l’islam n’a rien apporté positivement de plus au fondement des deux précédents monothéismes, comme l’écrivit l’éminent islamologue Ignaz Goldziher (lui-même juif, mais à la fois grand admirateur de l’islam et critique sévère du christianisme) ; - mais aussi du fait que la théologie islamique affirme que la révélation coranique récapitule, en plus parfaite puisque divine, les révélations précédentes et que ces dernières ont été falsifiées par leurs adeptes (10).
            Le texte de Nostra aetate a induit une autre méprise irréparable en affirmant que les musulmans adorent le même Dieu unique que les chrétiens. Si certains musulmans considèrent sincèrement qu’il en est ainsi, les chrétiens ne peuvent aucunement reconnaître en ce même Dieu le Dieu révélé en Dieu-Fils incarné, venu pour le salut des hommes. Le salut en christianisme et en islam sont à différencier : pour le premier il est lié au péché originel, qui n’existe pas en islam ; pour le second, le salut du croyant est lié à l’obéissance au commandement de Dieu, obéissance qui le sauve des tourments de l’enfer éternels (wa‛īd) et lui fait gagner une réelle rétribution au paradis (wa‛d). Dieu fait lui-même cette double promesse au croyant dans la révélation coranique.
            La foi (imān) se définit, en théologie islamique, en trois éléments solidaires, dans l’ordre suivant : - la proclamation, par la langue, de la šahāda (« il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et Muḥammad est Son envoyé ») ; - l’adhésion sincère par le cœur ; - œuvrer selon les piliers de la Loi et ses obligations descendues de la part de Dieu ( 11). Nostra aetate et les professionnels du dialogue ont jeté un trouble profond par l’usage du même vocable « foi » et pour le christianisme et pour l’islam. Cette erreur a amené le chrétien a associer ce concept à deux objets de nature distincte : foi chrétienne et croyance islamique. Ce nivellement par le vocabulaire a eu depuis des conséquences tragiques sur l’esprit des chrétiens et dans leurs réflexes. C’est la déclaration Dominus Jesus qui enseignera, en 2000, une réflexion précise sur « la distinction entre foi et croyance ».
            Dans la réalité les multiples équivoques sur l’islam sont dus à un usage d’un lexique uniformisant trompeur ; le même mot ne couvre pas le même sens dans l’une et l’autre religion. La présence de l’islam depuis plus d’un demi-siècle en France a fait se développer chez les Chrétiens une générosité inspirée par la déferlante de l’amour surnaturel appelé en théologie chrétienne « charité ». Encore faut-il que cette vertu soit bien ordonnée.
            Ces quelques remarques, dans leur présentation d’un rapport clinique, veulent mettre en évidence les équivoques entretenus, voire défendus, dans le dialogue islamo-chrétien contemporain, tant chez les Musulmans que chez les Chrétiens. Néanmoins elles montrent également la juste part de la raison et celle des sentiments.
            Ces équivoques ont altéré la nature du dialogue chez les chrétiens : de vertu théologale, le dialogue s’est transformé en une action humanitaire. Par suite, les conditions du dialogue elles-mêmes s’en sont retrouvées en total décalage, où le mystère chrétien qui relie à Dieu ne suffit plus, ce mystère même qui pouvait nous délecter du goût de l’infini et nous faire traverser la misère du monde ; au mystère chrétien, soupçonné d’intégrisme, on substitue des valeurs sûres, fruits d’un dialogue unijambiste telles la paix, non pas celle de l’Evangile apporté par le Christ, mais la paix entre religions que seul le dialogue interreligieux garantit. Des ecclésiastiques,             des théologiens (Küng, Phan,…), des épris des courants à la page, dédient leur vie à cette paix pour laquelle tout est permis, jusqu’au reniement.
            Une surenchère est entreprise sur la balance : plus l’absolutisme idéologique est superfétatoire, plus l’irrationalité du processus est affirmée.

* * * * *
            Avant d'aller plus loin, trois remarques s'imposent:
- Le dialogue ne peut exister qu'entre personnes, en l'occurrence, ici, entre Chrétiens et Musulmans, mais non entre islam et christianisme.
- Pour connaître les conditions d'un réel dialogue, il importe d'identifier clairement les acteurs des deux côtés.
- Enfin, il faut signaler la polysémie du mot « islam », entretenue et exploitée par les Musulmans, qui induit une confusion notoire auprès du public. Ainsi islam-religion, Islam-civilisation, Islam-communauté, Islam-culture et art, etc., chacun et tous à la fois sont utilisés à décharge du premier (telle, par exemple l'émission religieuse télévisée du dimanche sur l'islam où se mêlent une apologie appuyée de sujets profanes avec des leçons exégétiques des piliers de la foi).
            En l'espèce, les partenaires du dialogue relèvent de l'Islam-Communauté: individus et groupes. Il convient de connaître les caractéristiques et de l'un et de l'autre pour un meilleur discernement s'agissant des acteurs du dialogue.
            L'histoire nous enseigne que le groupe appelé Umma dans le Coran est une communauté qui s'origine dans une attitude de lutte défensive en un réflexe de survie, car d'abord elle fut persécutée dans la Mecque païenne parce qu'elle réclamait l'exclusivité du culte pour Allah un et unique. Elle finit par se constituer en un groupe agressif, victorieux de ses ennemis que sont infidèles, « associateurs » et Juifs.  Cette communauté combative est animée d'un fort sentiment de fraternité dans une même foi, seul véritable lien intracommunautaire. Les liens du sang, ethniques, claniques ou tribaux doivent désormais céder devant ce seul lien religieux. A ce titre, un Malais appartient à la même Umma qu'un Marocain et un même Black Muslim est frère d'un Yéménite. Cette Umma est missionnée par le Coran d'Allah pour promouvoir et défendre les « droits de Dieu » et « ceux de Ses serviteurs ».
            Jalouse de ces droits, se croyant toujours menacée, elle s'abrite dans la lutte par la polémique ou par les armes. L'islam, dès lors, ne sera pas uniquement une religion mais sera aussi une organisation politique et temporelle distinguée. Le Coran, Livre de Dieu, et Sa révélation dictée à Muḥammad, assiste la communauté, la guide avec des prescriptions et une loi spécifique. En raison de cela aussi, l'islam demeure la religion de la masse, d'une collectivité, plus que l'affaire d'un individu face à son Dieu. Par dessus tout, individuellement, le Musulman se sent élu, choisi, appelé dès le Coran à être le témoin, le combattant, le champion et martyr d'Allah unique et membre de sa communauté.
            Pour l'islam et pour chaque Musulman, le christianisme et le judaïsme sont une affaire jugée et classée par Dieu Lui-même, toujours dans le Coran. Bien sûr ce dernier leur reconnaît une origine qui vient de Dieu et d'une révélation dans ce qu'ils conservent encore d'authentique et dans ce qui n'est pas faussé et altéré par leurs sectateurs.  Mais ces religions sont reprises, corrigées, complétées et dépassées par le Coran qui, de ce fait, restitue la vérité de chacune d'elles, vérité se distinguant de celle prétendue par les Juifs et les Chrétiens. Il en résulte que se convertir à l'une des deux c'est régresser et abandonner la Umma: c'est une désertion de la communauté et une trahison du Coran, incarnation de la parole de Dieu. Elle la sanctionne de la peine de mort pour tout apostat; on entre en Islam mais on n'en sort pas.
            Cet état d'esprit explique cette grande fierté du Musulman, ancrée dans la conviction du croyant de l'évidence même de l'islam, son assurance déconcertante, et son complexe de supériorité se manifestant en une sorte d'inaccessibilité  que l'on rencontre chez le Musulman rivé à ses certitudes théologiques et théologales. Cet état d'esprit est inhérent au croyant « le moins cultivé, le plus illettré ou le plus terre à terre au point de vue moral » dit le Père Abdeljalil.  Toutefois, il n'est pas incompatible non plus avec le croyant de haut niveau scientifique.
            Face à cette puissante structure mentale d'une communauté solidaire - dont disait le cheikh Kaftaro, grand-mufti de Damas, parlant de la fraternité dans le groupe: « A tort ou a raison, elle est notre Umma »-, face à ce ciment sacral de la communauté, les Chrétiens appartenant à un univers mental diamétralement opposé, approchent avec des catégories de pensée nourries de valeurs évangéliques d'où une loi chariatique est évacuée et laissée dans l'Ancien Testament, et dont la morale s'est forgée, contrainte et forcée, sur fond de crise historique et doctrinale (protestantisme, Révolution, laïcisme, ... tout ce que l'Islam a empêché de connaître tout le long de son  histoire. En effet, le seul grand schisme qu'est le chiisme était strictement d'origine politique de lutte pour le pouvoir).
            En dépit de tout cela, le dialogue existe, de façon institutionnelle, depuis les années 70, par la mise en place, au sein du Conseil Œcuménique des Eglises (World Council of Churches) d'un Office pour les Relations Interreligieuses, et plus précisément du côté catholique la création en 1964 d'un Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, ainsi que beaucoup d'autres organismes
            Ni l'islam comme tel ni le christianisme comme tel ne peuvent être considérés comme des personnes, ce qui exclut donc la confrontation globale.
            Des ambiguïtés compliquent la donne par le fait que l'homme est souvent enclin à « majorer son rôle » et qu'un intervenant doté d'un titre est facilement tenté de se croire également investi d'une autorité.
            Les difficultés confluent dans une autre, principale, qui est celle de l'inégalité de chaque partie dans l'implication au dialogue. Du côté chrétien le niveau des relations individuelles est conservé mais est doublé par un grand effort de vulgarisation: revues, rencontres, colloques,.... Du côté islamique, en revanche, il n'y a guère que la fondation jordanienne Āl al-Bayt.

(.../...) [ Voir fin de l'article et notes dans le "post" suivant" ]

Le dialogue islamo-chrétien: la mésentente (Montargis, 2 fév. 2019) (2/2)


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            A ce déséquilibre correspond un fort déséquilibre psychologique entre les deux parties. 
            A-. Dans une première phase, on a pu voir du côté chrétien et occidental se multiplier les sollicitations, et du côté islamique se maintenir la réserve, voire la méfiance. Dans les sollicitations se mêlaient la charité apostolique chrétienne, la mauvaise conscience des décolonisations, et même l'attirance pour une religion à la fois exotique et apparemment proche. La réserve des Musulmans, quant à elle, était due à leur vision classique du monde partagé en deux zones antagonistes (territoire de l'islam - territoire de la guerre), à l'amertume des colonisations qui avaient soumis des Musulmans à des non musulmans, ce qui est « illicite », et à l'hostilité envers le mouvement missionnaire chrétien, tant en lui-même que pour ses liens éventuels avec la colonisation.
            B-. La manifestation de plus en plus nette de cet obstacle a conduit à passer à une seconde phase. Dans celle-ci, la sollicitation s'est encore accrue, avec un net effort pour généraliser les compromis doctrinaux qui avaient déjà été proposés par des individualités plus ou moins notables. Il convient de s'arrêter sur les compromis les plus notoires (12).
            a-. Il y a d'abord le thème de l'alliance.  Sous ce terme se mêlent deux questions: l'une est d'ordre lexicographique et l'autre d'ordre théologique. La question lexicographique tient à ce que le Coran utilise le même mot tāq pour désigner deux choses de niveaux très différents: d'une part des pactes entre humains (alliance tribale, mariage), d'autre part les engagements que Dieu a « pris des » Juifs, des prophètes, de « ceux qui ont reçu l'Ecriture » et donc des Chrétiens (V, 14), ainsi que des « croyants » (c'est à dire les seuls Musulmans: LVII, 8). Dans cette seconde signification du mot tāq, ce n'est pas Dieu qui s'engage, mais il reçoit l'engagement des diverses catégories citées, et il envoie, par suite, sa malédiction sur les Juifs qui ont rompu cet engagement. Toutefois, à deux reprises, le texte coranique utilise en même temps les mots tāq et ʽahd (II, 27; XIII, 20, 25); doit-on les traduire  de façon distincte, le premier par « alliance » et le second par « pacte », ce qui  conduit à étendre  la première traduction à toutes les occurrences de tāq, ou au contraire les considérer comme interchangeables? Ainsi se pose inéluctablement la question théologique de la confrontation entre l'alliance biblique et le pacte coranique.
            En fait, on constate que le thème de l'alliance n'est pas tant privilégié par les Musulmans eux-mêmes que par une frange de Chrétiens particulièrement engagés dans le dialogue. Ce qui fait que, sur ce point, on peut trouver, paradoxalement, d'un même côté, aussi bien des Chrétiens « ordinaires » que des Musulmans, face à des Chrétiens « engagés ». C'est ainsi que Mohamed Talbi a constaté paisiblement: « Les passages de la Genèse (15, 1-21; et 17, 1-23) relatifs à la Promesse et à l'Alliance n'ont pas de correspondant dans le Coran » (13).
            Il faut donc bien garder à l'esprit qu'il y a deux niveaux de sens du mot « alliance »: le sens courant (qui peut être confondu avec celui de pacte) et le sens biblique. Dans l'univers du dialogue islamo-chrétiens se dessinent alors diverses attitudes.
            La première de ces attitudes a été une libre spéculation, basée uniquement  sur une manipulation du texte biblique: Claude Geffré a pensé pouvoir replacer l'islam dans le schéma biblique de l'alliance en remontant à Ismaël lui-même, indépendamment du pacte coranique. Il est remarquable que dans son analyse il ne cite que le verset 17, 17 [20 dans la Bible de Jérusalem] et  saute directement au verset 20 [23], passant sous silence la suite immédiate du premier: « Mais mon alliance, je l'établirai avec Isaac, que va t'enfanter Sara... ». Evitant ces coups de pouce donnés aux textes, Mgr Brunin préfère, pour sa part, remonter à l’alliance que Dieu a faite dès l’origine avec l’humanité. Mais la seule justification de cette extension particulière aux Musulmans, plutôt qu’à d’autres communautés religieuses, est le climat de sympathie générale manifestée par l’ensemble de son  livre. On est au niveau de l’acte de foi.
            Il y a eu ensuite un essai de conciliation, notamment avec Michel Cuypers  qui traite abondamment du thème de l'alliance dans son livre Le Festin, une lecture de la sourate al-Mâ'ida (14) avec application à la sourate V des méthodes d'analyse rhétorique sémitique et d'intertextualité.  Cette double méthode est mise en œuvre pour établir un parallélisme entre la séquence coranique V, 1-11, traitant d'obligations (avec les valeurs licites et illicites), et certains passages du Deutéronome. Les parallélismes structurels avec le Deutéronome permettent d'atténuer la différence entre le Dieu sauveur de la Bible et le Dieu dominateur du Coran.
            b-. Autre thème notoire de compromis, celui de la communauté abrahamique. En islam, on ne parle pas d'Abraham mais d'Ibrāhīm. Par-delà le changement phonétique, c'est la personnalité même qui est différente: dans le prolongement des amplifications du Midrash, Ibrāhīm est ici  essentiellement  le champion de la lutte contre l'idolâtrie, en quoi il est un « beau modèle » (Coran, LX, 4), et le promoteur du monothéisme spontané. Du fait de son antériorité historique il « n'était ni juif ni chrétien; il était monothéiste (ḥanīf) et soumis [à Dieu] (muslim) » (III, 67). Les divergences entre les trois perspectives juive, chrétienne et islamique ont donné lieu à une première tension, vers le milieu du XXe siècle, s'originant dans les discussions internes au monde des orientalistes mais les dépassant.
            L'islamologue hollandais C. Snouck Hurgronje (1857-1936), avait estimé que c'était seulement après l'hégire, à la suite de son conflit avec les Juifs, que Muḥammad a instauré l'image d'un Ibrāhīm ḥanīf, ni juif ni chrétien, faisant ainsi jouir l'islam, en tant que « religion (milla) d'Ibrāhīm », du privilège de l'antériorité. Un disciple enthousiaste de Louis Massignon Y. Moubarak, s'est efforcé au contraire de concilier les points de vue chrétien et islamique. La raison de ce processus intellectuel est que Massignon a non seulement popularisé le thème d'Abraham, mais surtout  l'a lié à l'affectivité: « Je crois au Dieu d'Abraham et c'est là le premier anneau qui m'unit à mes amis musulmans » répétait-il. A son tour, R. Dagorn s'est rendu compte  des risques qu'entraînait ce transfert de la question sur le seul plan affectif. Il établit « l'inexistence absolue et radicale dans la tradition arabe préislamique, des personnages d'Ismaël, d'Agar, sa mère, et même d'Abraham. Le corollaire inéluctable de ce fait [est que] c'est indubitablement au prophète en personne qu'il faut laisser l'honneur d'avoir perçu le lien qu'il y avait entre ses propres conceptions monothéistes et l'idéal religieux qu'il entendait substituer au paganisme ancestral de ses compatriotes mekkois et la foi du grand patriarche biblique »  (15).
            c-. Le troisième thème notoire de compromis est l'établissement de cultes communs (prières, pèlerinages,...). L'exemple le plus célèbre est celui donné dès 1954 par L. Massignon dans ses pèlerinages islamo-chrétiens annuels à Vieux Marché, en Bretagne, où - dit-on - les participants récitaient le Pater et la Fātiḥa (sourate liminaire du Coran). En 1986, dans la perspective de la première  réunion interreligieuse d'Assise, Mgr J. Mejia a été amené à faire la distinction essentielle entre « prier ensemble » et « être ensemble pour prier ». Après avoir rappelé que « S[']il est vrai que lex orandi [règle de la prière] est lex credendi [règle de la foi], il est tout aussi vrai que lex credendi est lex orandi ». Nonobstant ces paroles, certains acteurs du dialogue ont proposé en 1996 un unique modèle de « Manuel de prières » pour les rencontres islamo-chrétiennes, intitulé Prier ensemble, et encore accessible sur Internet. Dans ces recherches d'un vocabulaire commun, des sollicitations lexicales manifestes sont à relever. Ainsi, dans l'utilisation des 99 « beaux noms de Dieu » (al-asmāʼ al-ḥusnā), on constate divers abus sémantiques, par exemple:  ğabbār, traduit par « le Très fort », alors qu'en fait l'homme arabe le comprend dans son sens philologique qui signifie « Celui qui contraint par violence » et que   la traduction de Médine ( 16) donne « le Contraignant »;  mutakabbir, traduit par « qui seul peut se glorifier de Sa perfection », et qui signifie en fait « altier, orgueilleux » (trad. de Médine:  « l'Orgueilleux »); qahhār, traduit par « Celui dont la domination s'étend sur toutes les créatures », et qui est en fait « Celui qui soumet, qui asservit » ( trad. de Médine: « Dominateur sur Ses serviteurs », et « qui asservit »);  fattāḥ, rendu par « le Révélant », alors que la traduction de Médine donne « le Grand Juge ». On ne saurait donc prendre indistinctement l'ensemble des noms d'Allah comme base cultuelle commune.
            d-. Enfin, la question la plus grave est sans doute celle de la mise sur un même plan « prophétique » de Muḥammad et du Christ.       L'invitation à reconnaître le prophétisme de Muḥammad est non seulement un thème obligé de la mission islamique, mais elle prend un  poids supplémentaire quand elle est faite aux Chrétiens car, du point de vue islamique, reconnaître à la fois l'unicité de Dieu (ce que fait de lui-même un Chrétien) et le prophétisme de Muḥammad revient à devenir musulman de fait, même si on n'en a pas conscience ou si on ne veut pas le reconnaître. Les Musulmans invoquent l'exigence de réciprocité: comme ils reconnaissent le prophétisme du personnage coranique de ʽĪsā, qu'ils assimilent - abusivement - au Jésus des Chrétiens, ceux-ci devraient reconnaître le prophétisme de Muḥammad. Ce n'est pas seulement le fait du croyant ordinaire, que l'on pourrait supposer insuffisamment informé, c'est aussi celui des plus hautes instances religieuses. Il y a cependant des Musulmans plus conscients des réalités et qui reconnaissent que, pour les Chrétiens,  Muḥammad « sera un grand homme et peut-être un réformateur social, mais pas un prophète ».
            C-. Nous sommes actuellement dans une troisième phase où les rôles sont modifiés. Du côté chrétien il y a partage entre ceux qui veulent pousser encore davantage les concessions et ceux qui pensent qu'on est allé trop loin. Les premiers insistent sur le thème de l'amour, reprenant la distinction chrétienne: amour entre Dieu et l'homme d'une part, amour du prochain d'autre part.
            Pendant longtemps - et souvent encore actuellement - les Chrétiens s'intéressant à l'islam ont vécu sur l'opposition en lui entre la religion légaliste et la mystique. Dans la première une relation d'amour entre Dieu et l'homme apparaissait comme exclue, voire condamnée, alors qu'elle serait essentielle dans la seconde. La figure de Ġazālī était alors magnifiée pour avoir voulu, dans sa grande somme La revivification des sciences de la religion, faire la synthèse du juridique et de l'affectif. Mais bien que Ġazālī ait été très vite promu au rang d'autorité majeure de l'islam, cela n'a pas arrêté le mouvement de l'histoire, qui devait être marqué notamment par deux grandes étapes antagonistes: d'une part la popularisation de la mystique qui, sous la forme du soufisme organisé en confréries, se répandait peu à peu, à partir du XIIe siècle, dans toutes les couches de la population, et d'autre part, à partir du XVIIIe siècle, la réaction wahhabite contre le culte des saints, prolongée par le mouvement salafî. Dans cette vision des choses, la relation d'amour entre Dieu et l'homme restait un phénomène exceptionnel: tous les Musulmans admettent que Dieu aime l'homme à condition qu'il accomplisse ses obligations, mais qu'il n'aime pas les autres (Coran II, 190, 276; III, 57; IV, 36-37, 107; VI, 141; etc.); quant à l'amant de Dieu - pour ceux qui en admettent l'idée -, il doit être le produit d'une démarche longue et difficile, en théorie ouverte à tous, mais en fait accessible seulement à une petite élite.      
            Un dossier de la revue Islamochristiana consacré à ce thème cite la remarque de K. Husayn: « Cette croyance [chrétienne] contient beauté, élévation, exhortation. Mais les Musulmans ne peuvent la confirmer, même s'ils ne nient pas sa grandeur. Ils la refusent pour une unique raison: elle est contraire au tanzīh [purification (de tout aspect créé en Dieu)]. Tout ce qui touche de près ou de loin à celui-ci est estimé crime contre l'unicité (širk) et c'est ce que Dieu ne pardonne jamais »  (17).
            Pourtant, à la suite de l'affaire de la leçon de Ratisbonne de Benoît XVI (12 septembre 2006), le thème de l'amour de Dieu a refait subitement surface dans la Lettre ouverte et appel de 138 leaders religieux musulmans adressée au Pape et aux chefs des Eglises orthodoxes et protestantes. Le souci fondamental de ce texte est la paix: l'islam n'est pas contre le christianisme si celui-ci ne l'attaque pas. La meilleure façon d'assurer la paix entre les religions est de tabler sur ce que le Coran appelle « venir à un terme commun entre vous et nous » (III, 64). C'est dans ce but que le texte entend montrer que la première moitié de la profession de foi islamique (šahāda), « il n'y a de dieu que Dieu », correspond à ce que l'Evangile qualifie de « premier et plus grand commandement », à savoir le Shema Israël (Deutéronome 6, 4-5):  Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout son cœur, de toute son âme de tout ton esprit et de toute ta force (Marc 12, 29-30; cf Matthieu 22, 37 et Luc 10, 27). Avec habileté ce  texte glisse ensuite subrepticement de l’amour de Dieu pour les hommes à son amour pour les Chrétiens – idée fort peu coranique .
            Le thème de l'amour du prochain est plus problématique encore. Le Chrétien engagé dans des activités caritatives les considère comme son devoir d'aimer jusqu'à ses ennemis, et se remémore notamment la parabole du bon samaritain qui met en scène dans un acte de charité deux membres de groupes antagonistes. Le Musulman, pour sa part, est habité par les nombreuses injonctions coraniques à la générosité, à l'entraide, à la protection du faible, etc. Néanmoins, dans cette attitude spontanée, interfère souvent le réflexe communautaire, ce qui fait que jusqu'à tout récemment l'action caritative islamique a été strictement limitée au bénéfice des coreligionnaires. L'ouverture, depuis peu, de l'aide aux non-musulmans est due soit à l'émulation avec des actions laïques très médiatisées, soit au rapprochement individuel avec des associations caritatives chrétiennes. En tout état de cause, ce sont des actes ponctuels, qui ne sont jamais devenus la règle générale d'une charité islamique ouverte à tous.
            Sur ce thème il existe deux attitudes opposées chez les Musulmans: certains, œuvrant au contact des Chrétiens,  partent de la morale en acte pour aboutir à l'amour de Dieu, via l'amour du prochain envisagé de façon mystique; en regard, la Lettre ouverte des  leaders musulmans, suit une démarche plus intellectualiste: elle part de la proclamation de l'unicité divine, d'où elle tire d'abord l'amour de Dieu et ne passe qu'ensuite à l'amour d'autrui. Elle ne traite que très brièvement de celui-ci et en fait reposer le devoir sur la tradition prophétique suivante: « Vous n'aurez de foi que si vous aimez pour votre frère [autre version « pour votre voisin (ğār) »] ce que vous aimez pour vous-même ». On remarquera la différence de vocabulaire liée aux différents contextes: les premiers parlent de « proche » (qarīb), terme qui n'existe pas dans les textes sur lesquels ils se fondent. Le verset coranique II, 177 qu'elle cite ensuite parle bien des « proches » (dawī l-qurbā), mais c'est dans un sens limitatif puisqu'ils sont associés dans l'acte de générosité aux orphelins, aux pauvres, aux mendiants, etc. Le verset XLII, 23 prescrit « l'affection à l'égard des proches » (al-mawadda fī l-qurbā). Les auteurs du texte ne se réfugient pas dans « un plaidoyer vindicatif pour l'umma », mais cela concerne l'action, non le fond. Les proches d'un Musulman sont musulmans; les textes n'étendent pas la compréhension du verset aux proches non musulmans, s'il s'en trouve.
            La question est en effet importante. Le glissement vers le thème de la paix dans le monde finit par réduire les instances religieuses à des groupes d'opinion comme tous les autres défenseurs du respect mutuel, et à évacuer la spécificité de l'amour du prochain. Comme preuve de la réalité de ce risque, citons la session du Comité mixte pour le Dialogue entre le Comité permanent d'Al-Azhar pour le Dialogue avec les religions monothéistes et le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, qui s'est déroulée à l'Université Al-Azhar du Caire, les 25 et 26 février 2008, et qui a eu précisément pour thème: « Foi en Dieu et amour du prochain comme fondements du dialogue interreligieux ». Tout en répétant qu'il faut placer Dieu au centre des débats, la session n'en aboutit pas moins à une déclaration finale qui se coule exactement dans le moule de toutes les déclarations purement laïques: «  Nous affirmons que toute religion respecte la dignité et l'honneur de la personne humaine sans considération de race, de couleur, de religion on de conviction, et condamnons toute offense contre l'intégrité, la propriété et l'honneur personnels ». Et le Cardinal Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, renchérit dans le même ton: « De fait, toutes les religions partagent la règle d'or: « Fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent ». Ma liberté est limitée par la liberté de l'autre ». ( 18)
            On objectera que ces paroles sont dues à des circonstances particulières, à savoir l'émotion du monde islamique après la publication, dans un journal danois, de caricatures du prophète de l'islam. Mais précisément cela montre deux choses: d'abord que l'on retombe très facilement dans le plaidoyer pro domo, ensuite que les Chrétiens se montrent incapables de sortir de cette ornière quand les Musulmans les y entrainent.
            Plus généralement on constate là, pour des raisons que l'on pourrait qualifier de « diplomatiques »,  une désacralisation du commandement d'« amour du prochain ». Que peut-on alors répondre à ceux qui, soutenant que les religions sont sources de conflits, restent sceptiques devant les nombreuses manifestations du genre « les religions pour la paix », n'y voyant qu'hypocrisie ?
            Or ces thèmes d'amour de Dieu et d'amour du prochain, non seulement forment le fond du christianisme mais ont été plus ou moins laïcisés et intégrés à la culture laïque occidentale. Cet éclatement entraîne une apparence de faiblesse, d'autant plus grande qu'une partie des acteurs du dialogue se sont carrément mis au service des revendications islamiques. Aussi les Musulmans se montrent-ils plus intransigeants et poussent-ils encore davantage ces revendications.
            Venues plus tard, les tentatives laïques de dialogue avec les instances islamiques sont tombées dans les mêmes ornières. Elles ont repris avec de plus en plus d'insistances le discours apologétique des Musulmans dits "modérés",  processus qui a abouti à cette réaction de satisfaction des Musulmans après les récentes déclarations du ministre de l'intérieur: « auparavant on avait un discours condescendant, mais maintenant on a un discours valorisant ». De leur côté, les Musulmans, à partir de 1972, ont opposé à la Déclaration des droits de l'homme diverses moutures de Déclaration islamique des droits de l'homme visant chaque fois à montrer que l'islam avait été le premier à proclamer et à défendre ces droits, mais dans le cadre de la charîa
            En fait, tant dans la sphère religieuse que dans les actions laïques, ce que l'on appelle «  dialogue » n'est que, au mieux, une juxtaposition de deux monologues lénifiants - ce que l'universitaire tunisien, et  ancien partenaire du dialogue à Rome, ‛Abd al-Majid Charfi a appelé « une politique de sourires » -, au pire, un vulgaire marchandage « paix contre concessions ».
            Que faut-il conclure de cela. Il est clair qu'il ne saurait y avoir de dialogue « avec l'islam » en général. Certaines valeurs fondamentales de l'islam-religion sont inconciliables avec le christianisme, telles la conception de Dieu et de Son unicité, et la relation entre Dieu et l'homme. Certaines valeurs fondamentales de l'Islam-civilisation sont même inconciliables avec l'Occident, tant chrétien que laïque, tel que le but ultime de triomphe de la Loi islamique, qui est une proclamation essentielle dans le Coran, mais aussi le statut inégalitaire entre croyant et non croyant, ainsi qu'entre homme et femme. On ne saurait donc envisager de dialogue qu'avec des Musulmans, c'est à dire des hommes, non un système idéologico-cultuel.
            Certes, les rencontres institutionnelles peuvent être de quelque efficacité dans la pratique: apaisement de tensions sociales, action caritative, effort d'insertion, etc. Mais cela se fait soit en mettant la religion entre parenthèse, soit en en présentant une image absolument artificielle qui peut voler en éclats à chaque instant, soit encore en réduisant le religieux à du « pratique » (comme, par exemple, l'instauration de comptes bancaires « islamocompatibles » pour éviter que l'argent des Musulmans ne fuie vers l'extérieur). Dans aucun de ces cas il n'y a « dialogue ».
            Ce qui rend si difficile - voire quasi impossible - le dialogue dans un cadre institutionnel, c'est que, dans cette situation, chaque partie est tenue de jouer un rôle: respectivement celui de la charité chrétienne, ou celui de l'humanisme pour les laïques, d'une part, et celui de la défense de l'islam d'autre part. Les deux premiers font très facilement passer de la conciliation à l'abdication, alors que le troisième exige de pousser la revendication. Et même si cela conduit à l'arrogance, Chrétiens et humanistes laïques se sentent obligés de - comme on dit - « ne pas faire comme eux ».
            Il vaut donc mieux répartir les rôles. Les instances officielles doivent chercher à connaître le mieux possible l'islam, de façon à prendre avec autorité les décisions les plus idoines possible. Même s'ils sont satisfaits des avantages qu'ils peuvent en tirer, jamais les Musulmans n'ont respecté ceux qui les flattent, la flagornerie étant considérée comme un signe de faiblesse et de capitulation. C'est au niveau des individus, au mieux des petits groupes amicaux, que peut se réaliser véritablement le dialogue. Il est vécu sans tapage médiatique.
            Ce qui peut être fécond c'est l'échange entre personnes, ou petits groupes de personnes, qui peuvent bien être chrétiennes, humanistes, agnostiques ou musulmanes, et qui par conséquent agissent en tant que telles, mais seulement pour leur propre gouverne, sans la dimension et la pression de la communauté.
                       


Notes :
1 : Terme employé par Etienne Renaud  m.a. (Islamochristiana 23, 1997, p 111).
2 : « Et ne discutez que de la meilleure façon avec les Gens du Livre, exceptés ceux d’entre eux qui sont injustes » (XXIX, 46) ; « …appelle [les gens] au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleurs façon » (XVI, 125).
3 : La Trinité chrétienne étant l’un des principaux reproches coraniques faits aux Chrétiens, cela explique qu’aux Journées romaines dominicaines de 2009, la Trinité fut le thème de la rencontre islamo-chrétienne (cf Concorde, sept. 2009, p. 9-11).
4 : Ibid.
5 : Ibid.
6 : Ibid.
7 : Un projet de texte proposé au vote des pères conciliaires, pour ce qui est devenu le n° 16 de Lumen gentium, voulait présenter les principaux points des dogmes communs aux Chrétiens et aux Musulmans. On proposait: « la foi en Dieu qui a parlé par les prophètes ». Les évêques n’ont pas repris cette formule et seule l’expression de « Dieu qui a parlé aux hommes » fut retenue.
8 : En 1974, le Père Anawati, missionné par Rome pour demander une rencontre avec les dignitaires d’al-Azhar, s’est vu répondre par le recteur : « Le dialogue, pourquoi ? Ici l’islam a tout prévu pour les juifs et chrétiens. Le dialogue ne peut être utile que pour les musulmans qui sont en terre non islamique car il permet de faire connaître l’islam d’une part, et facilite la vie des musulmans de l’autre. Nous sommes tout à fait d’accord pour ce dialogue-là » (témoignage du P. Anawati en 1991, à l’occasion de la campagne des musulmans contre la traduction du Coran par Jacques Berque).
9 : Cela a été notamment le cas au couvent des Clarisses de Toulouse en 2012, avec autorisation des responsables ecclésiastiques.
10 : La première partie de l’assertion a été reprise  textuellement, le 13 janvier 2013, lors de l’émission religieuse islamique de la seconde chaîne de télévision, par une chrétienne, collaboratrice laïque des organismes du dialogue.
11 : Cf Ghazâlî, Lettre au disciple  (texte et trad. par T. Sabbagh, Beyrouth, 19693).
12 : Je me permets de renvoyer, pour plus de développements à M-Th. et D. Urvoy, La mésentente, Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien (Paris, Cerf, 2014).
13 : M. Talbi, "La foi d'Abraham. Le sens d'un non-sacrifice", Islamochristiana  8, 1982, p. 5.
14 : Paris, Lethielleux, 2007.
15 : R. Dagorn, La geste d'Ismaël d'après l'onomastique et la tradition arabes, Genève, Droz, 1981,  p. 377.
16 : Par La Présidence Générale des Directions des Recherches Scientifiques Islamiques, de l'Ifta, de la Prédication et de l'Orientation religieuse.
17 : Islamochristiana, 14, p. 34.
18 : Cf Islamochristiana 34, 2008, p. 197-200.






                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

De l'islam politique


Marie-Thérèse URVOY


De l'islam politique

1. Aux fondations de l'islam politique: histoire et textes.
        
         Dans son histoire, l'islam s'est toujours distingué par le caractère obsessionnel de son rapport au pouvoir. A Médine,  dès qu'il le put matériellement, il assuma un lien intime et constitutif entre le religieux et le politique.
         C'est sans doute la Charte de Médine, appelée par les Musulmans contemporains constitution, qui est le premier marqueur fondateur de l'islam politique. Mais avant, quel était l'impact concret de la nouvelle prédication commencée en 610 à la Mecque? Le monothéisme prêché par Muhammad était bien une rupture avec le polythéisme ambiant. L'islam ne présentait qu'une différence avec beaucoup de valeurs préislamiques restées inchangées: mais elle résidait dans plus d'évidence, de simplicité et de forte certitude sous la protection d'un Créateur unique, plus puissant que toutes les autres divinités. Sur le plan éthique, les liens essentiels et innés, qui unissaient les membres d'une même famille, comme dans toute société primitive proche de la nature, ont été repris et amplifiés dans l'islam, sous la seule réserve qu'ils ne s'opposent en rien à la nouvelle prédication. L'événement historique est sans conteste le remplacement du lien tribal et clanique par le seul nouveau lien religieux. La fraternité entre tous les Musulmans est la première caractéristique essentielle de la nouvelle religion et d'une nouvelle société. La communauté, sacralisée par Allah dans le Coran, s'approprie spontanément réflexes psychologiques et usages propres aux tribus. Le Coran ne manque aucune étape de ce transfert, ni de rappeler en diverses formulations, que « les Musulmans sont durs envers les infidèles, miséricordieux entre eux » (XLVIII, 29). Ce qu'un célèbre traditionniste des débuts de l'Islam, al-Fudayl Ibn ʽÎyâd, traduira ainsi: « le plus solide des liens de l'islam, c'est l'amour en Allah, et la haine en Allah ».
         Le concept de la communauté (umma) dans la société islamique est clairement énoncé dans la Charte citée plus haut. Celle-ci a été établie par Muhammad après son  émigration (hégire) à Médine, notion sacralisée en islam en imitation du prophète "excellent modèle [à suivre]" indiqué par Allah dans le Coran (XXXIII, 21). Ce concept de umma est repris dans nombre de corpus de hadîths (traditions prophétiques), et participe à la définition de l'islam des origines en ces termes: « c'est le ralliement ou la soumission à un pouvoir nouveau, instauré par un prophète qui en définit les lois au nom de Dieu, et dont les assises politiques sont appuyées sur une action militaire permanente » (A.L. de Prémare). Cela est parfaitement rendu dans les récits canoniques appelés "les campagnes de l'Envoyé d'Allah" (maghâzî rasûl Allâh), lesquelles jouent un rôle capital dans l'histoire des débuts de l'Islam et dans la formation de son Droit (fiqh). L'un des plus anciens hadîths dit: « j'ai reçu l'ordre d'Allah de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils disent “point de divinité excepté Allah”. Celui qui dit “point de divinité excepté Allah” préserve de mon atteinte ses biens et sa personne ».
         La Charte de Médine a été rédigée par Muhammad pour asseoir les bases de sa confédération. Les thèmes les plus cités par les hadîths concernent surtout des réglementations des relations sociales (muʽâmalât): dette de sang en cas de meurtre, rançon des prisonniers, etc. Mais le thème le plus récurrent est celui de l'étroite solidarité entre les adhérents au mouvement contre ceux qui lui sont réfractaires. Dans plusieurs hadîths confirmés revient une déclaration de Muhammad établissant Médine en tant qu'enclave sacrée (haram), au même titre que la Kaaba mecquoise.
         A ce stade de la vie de Muhammad, il n'y a pas encore d'Etat, mais une confédération guerrière, avec une charte, celle de Médine. Concomitamment la révélation coranique prescriptive l'accompagne. La partie introductive du document est fort éloquente quant à sa nature et à celle des groupes qui en sont partie prenante: « ceci est un écrit de Muhammad le prophète, établie entre ceux de Quraysh et ceux de Yathrib qui se sont affidés, et ceux qui les ont suivis et, s'étant joints à eux, ont combattu avec eux. Ils sont une confédération unique, à l'exclusion des autres hommes ». Pour Muhammad, le modèle est Moïse, perçu comme fondateur d'un peuple autour d'une loi de Dieu et d'un objectif de conquête. De plus, il est dit dans la Charte: « chaque fois que survient un différent entre vous, sur quoi que ce soit, l'affaire sera soumise à Allah et à Muhammad [...] Si entre les gens de cette charte survient un méfait ou un conflit dont on peut craindre une détérioration, on soumettra l'affaire à Allah Très-Haut et à Muhammad le prophète ». C'est donc ce dernier qui garde de toute détérioration éventuelle de la cohésion du groupe. Allah lui-même, dans le Coran, ordonne l'acceptation des arbitrages de son envoyé, en même temps que l'obéissance à celui-ci (IV, 64-65).
         Un terme de cette Charte de Médine désigne les adhérents au mouvement de Muhammad: muʼmin (pl. muʼminûn). De nos jours, ce mot est traduit généralement par croyant, ce qui induit un sens religieux individuel et restreint, tel qu'on le conçoit dans d'autres cultures. Or la lecture objective, dans le contexte historique du document, comme parfois dans le Coran, révèle dans le lexique islamique les connotations originelles, essentiellement communautaires. Chez les commentateurs coraniques, le pluriel muʼminûn désigne au départ ceux qui se sont portés garants les uns des autres en établissant entre eux un pacte de sécurité mutuelle en cas d'agression et de guerre. Ils "se confient" les uns aux autres, comme dit A.L. de Prémare; ce sont les affidés (du latin afidare : promettre); littéralement "à qui on se fie pour un mauvais coup", au sens propre et ancien du mot fides (foi). Cela est rendu en arabe par âmana, dont muʼmin est le nom du sujet. La signification religieuse n'intervient là que parce que c'est Allah qui se porte lui-même garant de ce pacte de solidarité établi par Muhammad entre les affidés qui croient en la qualification de celui-ci comme prophète.
         Il faut ajouter que nous retrouvons dans le Coran cet usage premier du verbe âmana au sens de "se fier les uns aux autres". Il est dit que le prophète « se fie aux muʼminûn », alors qu'il ne « se fiera point » à ceux qui restent en arrière et trouvent des prétextes pour ne pas engager leurs biens et leurs personnes dans le combat sur le chemin d'Allah (IX, 41, 44, 73 et 81).
         Les affidés « sont une umma unique, à l'exclusion des autres hommes », dit le début de la Charte. Dans le grand dictionnaire classique Lisân al-ʽarab, umma veut dire d'abord groupe, ou groupement humain en un sens neutre. Ici, il ne désigne pas un groupement ethnique ou tribal, mais dans le contexte de l'Arabie d'alors, une confédération entre le groupe de Qurayshites mecquois, nouveaux venus à Médine avec le prophète, et les différents clans et tribus de la zone de Médine. Cette confédération est de nature politique, soudée par l'adhésion au prophète d'Allah. Elle se définit par le fait qu'elle est exclusive de tous ceux qui n'y ont pas adhéré. La finalité de cette organisation est de garantir l'efficacité de l'effort de guerre commun. Celui-ci est exprimé au tout début de la Charte par le mot jihâd, qui sera précisé plus tard par l'expression "le combat sur le chemin d'Allah". Une réglementation stricte, dans une casuistique pointue, fait qu'un affidé croyant peut échapper à une sanction, même s'il est coupable, si la victime est étrangère au groupe. Cette solidarité est d'abord un réflexe de survie du groupe, dira l'historien Muhammad Talbi, pour justifier les violences des débuts de l'Islam, « car il s'agissait de la défense et de la pérennité de la umma primitive ». Ce n'est pas un hasard si, lorsque le Coran dit: « les croyants sont seulement des frères » (XLIX, 10), il utilise la particule grammaticale innamâ qui comporte un sens exclusif, mais aussi un effet amplificateur qui dynamise la phrase nominale. Elle est à mettre en perspective avec la particule illâ, l'exceptif du cri monothéiste « il n'y a point de divinité sauf (illâ) Allah », qui charge la phrase nominale, ici négative, d'un exclusivisme farouche. Dans ces deux exemples, nous avons bien plus que des procédés, mais de véritables stratégies stylistiques qui visent un impact et un résultat commun: la mise en valeur de l'aspect absolu et  de la retombée catégorique dans le mental des croyants.  D'ailleurs, le commentateur al-Râzî affirme que la particule innamâ est là pour signifier la restriction: « pas de fraternité sauf entre Musulmans ». Il explique son interprétation à l'aide de prescriptions légales qui évacuent radicalement une quelconque fraternité entre un Musulman et un infidèle, lequel ne peut en aucun cas hériter d'un Musulman.
         Allah rappelle à maintes reprises aux Musulmans, qui sont les seul croyants dès le Coran: « vous êtes la meilleure communauté qui ait été produite pour les hommes; vous ordonnez le bien, interdisez le mal, et vous croyez en Allah » (III, 110). A partir de là, l'islam a considéré la supériorité de la communauté des croyants comme le premier ciment entre eux: ils ont pour signe distinctif le discernement entre la croyance et l'infidélité, le bien et le mal.
         De l'invincible affirmation de l'unicité d'Allah dérive le sens très ardent que possède le Musulman de l'unité qu'il forme avec ses frères dans la même foi.  Ils sont missionnés par Allah pour défendre ses droits sur terre. Ils sont ses serviteurs élus et chargés par lui de l'exécution du plan divin qui coïncide avec les prescriptions sociopolitiques descendues sur son prophète pour l'humanité et pour le triomphe de l'islam sur toute religion (IX, 33).
         Ce bref rappel des sources de l'Islam à Médine permet de saisir la notion de "domaine de l'islam" (dâr al-islâm) dans ses rapports avec les infidèles. Il désigne l'ensemble des terres où est observée la loi coranique. Il est la représentation concrète de l'organisation politique de l'Islam.  A côté du domaine de l'islam existe le "domaine de la guerre" (dâr al-harb), appelé également "domaine de l'infidélité" (dâr al-kufr). Le conquérir est un "devoir collectif" pour installer la umma qui défend les droits d'Allah.
         Une telle répartition du monde rend un aggiornamento techniquement difficile car le Droit islamique classique est structuré selon un schéma précis de toute société islamique: 1. les hommes et les femmes; 2. les personnes libres et les esclaves; 3. les Musulmans et les non musulmans.  Tous n'ont pas les mêmes droits ni les mêmes devoirs. Bien entendu la communauté des croyants est privilégiées en raison de son origine sacralisée dans le Coran.  Un Etat islamique se veut à transcendance divine, coranique et chariatique. Ses terres sont des terres d'Allah, du Coran et de la loi d'Allah. Cette soumission à une transcendance se trouve dans la disposition, par constitution, que l'islam "est la religion de l'Etat", et pas seulement "religion d'Etat".  L'Etat fait profession d'islam. Dans un Etat islamique, l'adhésion à la communauté ne pose point directement la question d'une vie nouvelle, au sens de la rénovation individuelle par la vie de la grâce (celle de l'homme nouveau de Saint Paul), car l'islam est une religion de la masse, de la collectivité. Elle est essentiellement un état, un statut juridique (hukm), directement voulu et décrété par Allah. Les individualités qui s'y soustraient sont traquées, persécutées, voire mises à mort par l'islam officiel traditionnel.

2. Réception et application des sources fondatrices par le croyant.
        
         Fondé sur une révélation coranique sans progression, et sur l'imitation de l'exemple muhammadien, l'islam se dit, depuis l'époque médinoise, "religion et Etat" (dîn wa dawla), et également "religion et monde [d'ici-bas]" (dîn wa dunya). En raison de l'origine divine des deux paradigmes, on exclut toute interprétation qui viserait à déroger pour une histoire ou pour un espace humain, nécessairement reconnu comme inférieur au divin.
         Dans les temps contemporains, l'expression des deux binômes est visible dans la confrontation voulue par l'islam entre son modèle propre et le modèle occidental des sociétés modernes (d'accueil): lors de manifestations islamiques, en pays islamiques ou en pays occidentaux en crise minés dans leurs racines, les Musulmans manifestent en brandissant des bannières couvertes de slogans symptomatiques: « l'islam est la solution », « le Coran est notre constitution »; on a même vu à Luton, au Royaume Uni: « la sharîʽa est notre Droit ».
         Depuis les années 70, sous la pression de la masse, la revendication islamique s'est organisée paradoxalement au sein d'une classe instruite, ou semi-instruite, souvent formée en Occident et rompue aux techniques les plus évoluées des sciences appliquées et des sciences dures. L'Occident, tel qu'il était perçu par les Musulmans, a été identifié à la modernité. De son côté l'islam, tel qu'il s'exprimait, s'est identifié à la tradition. La rencontre des deux faisait difficulté majeure. A ceux qui osent proclamer: « la religion est à Dieu mais la patrie est à tous », la réplique de l'islam qui se veut authentique, est nette: ceci est valable pour des sociétés qui ont toléré des théories évolutionnistes d'un Darwin ou d'un Walace pour la biologie, ou d'un Spencer pour la philosophie morale, ou encore le matérialisme marxiste. Ces sociétés ont perdu le sens du sacré et du divin. Dans la société islamique, le statut juridique (hukm) de leurs disciples doit être celui des infidèles. Ces doctrinaires élargissent ces idées à une possible interprétation islamique de la société: la laïcité peut s'exercer si elle signifie la stricte séparation de la religion et de l'Etat, mais à condition que la umma soit déclarée "source des pouvoirs". Cela correspondrait au principe démocratique dans les sociétés modernes: le démos (dans démocratie) est reconnu dans la umma, communauté humaine sacralisée dans le Coran.
         Les bédouins, vivant en marge des entités politiques constituées, respectaient une hiérarchie certaine, au sommet de laquelle se trouvait le seigneur (ou maître: sayyid). Son autorité reposait sur ses qualités, mais surtout sur la lignée à laquelle il appartenait (nasab). Il pouvait être contesté à l'occasion d'une déficience ponctuelle, mais la qualité de noble (sharîf) continuait à faire bénéficier les descendants des vertus de leurs ancêtres. Cette idée, trouvant son principe même dans le prophète de l'islam, est devenue la règle absolue dans tous les pays islamiques.
         Le Coran se fait l'écho de la revendication de la suprématie politique au profit du prophète. Il est répété qu'il faut « obéir à Allah et à son envoyé » (IV, 59 -69), puis, explicitement affirmé que « quiconque obéit à l'envoyé, obéit à Allah » (IV, 80), voire que « [Dieu n'a] envoyé de messager que pour qu'il soit obéi » (IV, 64).  Cette autorité revendiquée par le prophète est bien celle d'un juge qui arbitre dans les affaires temporelles des hommes; c'est Allah lui-même qui dit au prophète: « ils ne seront pas croyants aussi longtemps qu'ils ne t'auront demandé de juger de leurs disputes et qu'ils n'auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu'ils se soumettent complètement à ta sentence » (IV, 65). Il y a ainsi un lien causal entre révélation et pouvoir temporel: « nous avons fait descendre vers toi le Livre avec la Vérité pour que tu arbitres entre les hommes selon ce qu'Allah t'a appris » (IV, 105). Aussi n'y eût-il presque  aucune opposition à ce que, à la mort du prophète, son lieutenant (ou vicaire: sens du mot calife) assume la fonction à la fois de chef spirituel et de souverain temporel et chef de guerre.  Il y a eu de nombreuses contestations, des conflits sanglants et des assassinats politiques autour de l'attribution de cette fonction à tel ou tel, mais jamais sur la légitimité de cette fusion des deux fonctions.
         De plus, la tradition (sunna: ensemble des traditions prophétiques) met en avant les mérites intrinsèques de la famille du prophète. Un hadîth ordonne: « vénérez Muhammad dans les personnes de sa famille » (Bukhârî). D'où l'annexion par l'islam de la notion antéislamique de sharîf (noble), mot qui désigne désormais un descendant de Muhammad, la noblesse de celui-ci rejaillissant sur tout membre de sa lignée. D'où quantité d'acrobaties des généalogistes pour faire descendre du prophète tel autocrate berbère, comme Ibn Tûmart qui est à l'origine de l'Empire almohade, ou turc, comme les Ottomans qui reprirent à leur profit le califat en principe réservé à un membre de Quraysh (la tribu arabe du prophète).
         La conception orthodoxe du pouvoir a été clairement exprimée au XIe siècle par le grand classique de Droit public islamique, Les statuts gouvernementaux de Mâwardî (m. 1058). Le pouvoir n'appartient qu'à Allah, qui le délègue à son prophète, lequel le délègue à ses lieutenants (califes), lesquels, à leur tour, le délèguent aux autorités particulières: ministres, chefs militaires, juges, etc. jusqu'à l'échelon le plus bas. Loin d'être un ouvrage de philosophie politique qui serait un chaînon entre la Cité vertueuse de Fârâbî (m. 950) et les Prolégomènes d'Ibn Khaldûn (m. 1406), ce traité, schéma de la parfaite théocratie, est une synthèse originale et détaillée qui voulait concrétiser une méditation marquante sur la nature du sunnisme politique après le désordre causé par des princes chiites.
         Peu de temps après Mâwardî, le califat a été obligé de se replier sur ses fonctions religieuses et de céder le pouvoir temporel et politique au sultan, ce qui est advenu aux Turcs seljukides. Mais on a maintenu la fiction initiale en présentant cet abandon comme une simple délégation d'autorité.
         Ce pouvoir politique et temporel, fondé sur une délégation provenant d'une autorité spirituelle, aurait dû en principe ne pas survivre à l'abolition du califat par Mustafa Kémal en 1923. Or, paradoxalement, il en résulta, étant donné des habitudes prises, que les régimes laïcs existants ont tout simplement absorbé les prérogatives du califat. Aussi, dans un pays prétendument laïc comme la Syrie, le prône du vendredi doit-il encore être fait au nom du chef de l'Etat; comme autrefois, ne pas le faire est considéré comme un geste de rébellion, puni comme tel.
         Il n'y a point, dans le monde islamique, cette sorte de nostalgie qui anima les démocraties modernes à l'égard de formes qui paraîtraient très contestables, mais qui montrent l'ancienneté de l'idéal: les cités grecques, les cantons suisses, les mouvements protestants depuis la Bohème hussite jusqu'à l'Amérique, etc. Bien au contraire, la nostalgie du monde islamique renvoie, pour certains jusqu'à l'ivresse,  aux grandes périodes de succès militaro-politiques, et par suite aux périodes où le pouvoir du souverain islamique dominant était le plus fort.
         A notre époque on voit certains s'extasier devant l'importance donnée, depuis la Révolution iranienne, aux  économiquement faibles (mustadʽafûn) évoqués déjà dans le Coran. De fait, les mouvements fondamentalistes se sont empressés à créer des organismes d'aide aux démunis, ce qui leur vaut sympathie populaire et suffrages lors des élections. Mais ici une réserve importante s'impose: cette aide reste réservée à l'intérieur de la communauté islamique; elle ne s'adresse pas aux non croyants et infidèles à l'extérieur, si ce n'est à de très rares exceptions, en terre non islamique, lorsqu'il s'est avéré opportun de rivaliser dans les banlieues de certaines grandes villes en France avec les Restos du cœur.
         « Tout périt sauf sa face », dit le Coran. Ramon Lull, au XIIIe siècle, louait des Musulmans de ce que quiconque faisait apprendre un métier à son fils, quelle que soit sa richesse, car rien n'est stable en ce bas-monde.  Ce qui conduit à ne considérer les hiérarchies temporelles et politiques que comme des données de fait, non de droit. L'histoire abonde d'exemples d'hommes de religion tançant le souverain en l'appelant non pas roi (malik), mais faqîh (jurisconsulte), se plaçant ainsi au même rang que lui car les hommes de religion ont toujours revendiqué qu'ils étaient détenteurs du savoir religieux, lequel en islam est la seule source d'autorité. Mais il y a plus: à l'exception du chiisme qui a un clergé structuré hiérarchiquement, la grande majorité de l'Islam ne connaît pas de hiérarchie absolue.  N'importe quel cheikh de quartier peut formuler une fatwâ (consultation juridique) contredisant le cheikh al-islâm du gouvernement. Le premier sera suivi par nombre d'adeptes.  Le problème majeur de notre temps est que les mouvements extrémistes, voire terroristes, s'appuient sur de tels hommes de religion qui exploitent leur aura personnelle face aux compromissions supposées et reprochées à leurs collègues en place.  Même la hiérarchie chiite peut être subvertie; le cas de Khomeynî l'illustre bien: il n'était pas l'ayatollah le plus important, titre appartenant à l'ayatollah Madarî, mais il put l'écarter en s'appuyant sur le mouvement des économiquement faibles indiqué plus haut.
         Dans l'apologétique moderne, la question lancinante depuis la mise en contact forcé du monde islamique avec l'Occident est: pourquoi les Musulmans sont-ils en retard, et comment, alors qu'Allah leur a donné pendant longtemps la victoire et la supériorité, les a-t-il abandonnés au point qu'ils aient été soumis à l'infidèle? La réponse depuis Tahtâwî, qui visita la France et connut la révolution de 1830, est double. D'une part, pensent les Musulmans, il est possible de prendre à l'Occident son acquis scientifique et technique, qu'il n'a obtenu que grâce à la transmission par les Arabes du savoir antique, en le détachant de l'arrière-plan moral et idéologique, lequel est dans son ensemble foncièrement pervers. D'autre part, si on devait reconnaître à l'esprit occidental des points positifs (liberté, égalité devant la loi, soif du savoir ...), ces qualités appartenaient déjà au monde islamique qui les a juste oubliées par la faute des intrusions d'étrangers dans son histoire; il suffit donc de les restaurer dans leur forme primitive.
         Cette vision du monde a le grave inconvénient d'ignorer le lien ontologique entre la mentalité générale et l'activité scientifique et technique, comme l'ont montré des analyses de Max Weber sur l'esprit du capitalisme. Se sont alors multiplié des ouvrages sur les valeurs islamiques des premiers temps de l'islam, rejoignant ainsi l'idéal des "réformateurs" de la fin du XIXe-début XXe siècle qui conclut que point de salut pour les Musulmans sauf dans un retour aux anciens (salaf) des temps de Médine. De ces faits, tant que l'islam reste politique, les Etats islamiques, même s'intitulant "république", demeurent des théocraties où votes et  élections sont étroitement contrôlés par les défenseurs de l'orthodoxie religieuse.  Ce qui se passe en Iran, ou en Egypte sous les Frères Musulmans, ou encore en Turquie jusqu'à présent (l'effort de laïcisation d'Ataturk s'est arrêté avec sa mort en 1934), en est une claire démonstration.
         Cependant, des signes (nous n'en présenterons que quelques-uns) d'une possible évolution permettent l'espoir: En 1925, un an après la suppression du califat, un cheikh d'al-Azhar, ʽAlî ʽAbd al-Râziq, a répondu à l'émotion publique générale en affirmant que l'islam est un message purement intérieur, qui n'aurait jamais dû être érigé en système politique. Le califat était donc une dérive, et même une trahison.  Cet auteur fut radié de son poste et condamné mais, fils d'une grande famille, il ne fut pas exécuté. De nos jours son livre est repris par certains. Le Soudanais Mahmûd Muhammad Taha a poussé plus loin ce refus de toute politisation de l'islam. Là où le premier acceptait que la personnalité du prophète lui ait donné le droit de diriger temporellement ses adeptes, Taha considérait que, dès l'hégire et dès le moment où Muhammad est devenu chef temporel et politique, il y a détournement de la religion. Sans pour autant condamner ce qu'a fait le prophète à Médine, il le considérait comme n'ayant aucune valeur en dehors de ce contexte. Or c'est cela précisément qui est à la base du Droit islamique. Pour Taha, en revenant à la seule partie de la révélation d'avant l'hégire, quand Muhammad était seulement prédicateur libre de toute attache mondaine, on retrouverait la vérité de l'islam spirituel. Cette position comporte des difficultés qu'il n'est pas lieu de discuter ici. Mais bien que Taha ait été condamné et pendu, l'idée chemine et gagne des adeptes au péril de leur vie. Ils rêvent d'un islam purement intérieur, ne retenant que les enseignements spirituels intemporels qui pourraient s'accommoder de n'importe quel régime politique.
         Malheureusement, en Europe et en Occident plus généralement, si beaucoup de Musulmans d'un certain âge, notamment émigrés, évoluaient inconsciemment vers cette conception, les jeunes générations, gagnées par le phénomène de réislamisation, revendiquent, eux, l'intégralité de leur héritage historique et le droit de le faire prévaloir sur les lois modernes tant en pays islamiques qui les adoptèrent à partir du XIXe siècle, à l'imitation de l'Europe, qu'en pays occidentaux d'immigration.
         Encore aujourd'hui des Musulmans réclament une réforme de cet islam politique né à Médine et radicalement incompatible avec les cultures et les civilisations du reste du monde.  Fort minoritaires et menacés, ces Musulmans s'exilent en Occident pour éviter l'assassinat "religieux" dans leur pays d'origine. Ils œuvrent individuellement, chacun avec son analyse, son approche et son propre angle de tir. Dans les années 90, l'Egyptien Nasr Abû Zayd écrit un essai intitulé Repenser le Coran. Il y affirme que dans le Coran c'est Allah qui parle, mais que c'est un être humain qui l'a écrit. De plus, lorsqu'on rend compte de paroles quarante ans après qu'elles aient été dites, il y a nécessairement approximations, erreurs, amplifications ou réductions qui peuvent survenir. Nasr Abû Zayd finit sa vie en Europe, privé de sa famille, sa femme empêchée de rejoindre un "apostat". Il semble cependant que le couple ait pu se réunir ultérieurement.
         En 1994, Saʽîd al-ʽAshmâwî publie Vérité du voile islamique et argumentation selon le hadîth. Il y fait la démonstration que rien, dans les textes sacrés, n'oblige au voile, lequel demeure un strict marqueur politique.  Beaucoup d'autres écrits ont suivi. Ce livre actualisé a été réédité en 2003, car le voile était devenu alors une affaire d'Etat et un symptôme agressif délibéré de la présence islamique en Occident, avec ses interrogations et ses difficultés. D'aucuns ne pouvaient imaginer ce qui allait advenir dans les décennies suivantes. En 2004, le même auteur publie, dans la revue Al-Jumhûriyya du mois de janvier, dans une série d'articles circonstanciés, des textes issus des traités classiques de Droit islamique où il est précisé, entre autres, « qu'il n'est pas permis à un Musulman de demeurer dans un pays non islamique - en tant que tel territoire impur de la guerre (dâr al-harb) - plus de dix jours [...] 1. le temps de payer la rançon d'un captif musulman, 2. celui de s'acquitter d'une représentation d'ambassade, 3. de payer un marché conclu aux frontières ». L'auteur s'interroge donc sur « les motivations des Musulmans qui se fixent en Occident contre tout principe légal (sharʽî) islamique, avec leurs lois qu'ils cherchent à imposer, leur culte dans ce qu'il a de plus inadéquat dans la modernité de ces pays, leur mode de vie imperméable aux autres de par son caractère confessionnel astreignant [...]. Ils s'acharnent à islamiser tout ce qu'ils touchent ou qui les touche. Ce faisant ils ne respectent pas leurs propres textes. Ceci n'est pas l'islam non plus ». Bien que al-ʽAshmâwî ait été le magistrat conseiller d'Anouar al-Sadate, et une illustre figure  des "Fondamentalistes rationalistes", il vit depuis cloîtré sous protection policière, plusieurs fatwâ ayant rendu son sang halal . C'est ce même auteur qui, dans son livre Le califat islamique, de 1992, dénonçait la schizophrénie chez les Musulmans qui a abouti à une mémoire sélective funeste lorsqu'il s'agit de leur histoire remplie de massacres et de destructions « entre Musulmans, sans nul besoin ni d'étrangers aux Arabes, ni de colonisateurs » (p. 17-18). En même temps il défendait sans ambages le concept du califat comme étant le pouvoir centralisé dans la personne du calife, pivot essentiel de l'histoire politique de l'Islam. Le califat islamique est le pôle où se réalise le sens de l'histoire, et où s'est cristallisée la pensée politique de l'islam, mais des groupes islamistes en ont perverti le principe en  ramenant la demande de son retour à la recherche de la gloire passée de leur époque d'or. Ils ont aggravé cette illusion en confondant l'idée de gouvernance avec le commandement du califat en Islam. Ils se sont mépris sur l'autorité religieuse et sur celle civile et ont confondu l'islam et l'histoire de l'islam.
         Pour al-ʽAshmâwî, le califat n'est point un mauvais concept en lui-même, mais ce sont les Musulmans qui l'ont corrompu: dans le Coran, le prophète n'avait pas de gouvernement, dans le sens moderne, ni ministère, ni administration, ni police, ni magistrature, ni monnaie frappée à son nom; il n'imposait pas de taxes particulières. Ce qu'il prélevait comme aumône ou capitation, et comme butin, n'était que son droit en tant que prophète, tel qu'il est dit dans le Coran, et non en tant que gouverneur, roi ou prince. Cela veut dire que le prophète n'a pas gouverné en tant que roi; mais en tant que prophète de Dieu, envoyé aux hommes. Les prélèvements qu'il prenait ne sont qu'obéissance à des versets descendus d'Allah dans le Coran (IX, 103; LIX, 7; VIII, 41; etc.). Finalement, « la vile confusion de la religion avec la politique et de la prophétie avec le pouvoir et son rôle, a abouti à une conséquence extrêmement grave et infiniment préjudiciable au cours du roman islamique et général des fléaux en Islam ».

3. L'islam en Occident: laïcité et Eglise.
        
         De nos jours, les Musulmans qui persistent à vouloir vivre en domaine d'infidélité (dâr al-kufr) se mobilisent pour défendre « l'islam et les droits d'Allah », premier devoir du croyant avec celui d'étendre dâr al-islam à la terre entière. Pour le monde extérieur, ils affirment que la compatibilité existe bien entre islam et laïcité dans la stricte mesure où « les droits en laïcité ne s'opposent point aux droits de Dieu ». Nous sommes encore et toujours dans le cercle hermétique de la réflexion-réflexe islamique. D'aucuns objecteraient que textes et sources évoquées ici sont le choix des islamistes, c'est à dire ceux de la doctrine extrême de l'islam. En fait, islamistes et Musulmans ordinaires ont le même appareil de référence. Les textes sont uniques comme Allah est unique pour tous les croyants, quelle que soit l'intensité de la praxis de chacun: Musulman sociologique, Musulman libéral, islamiste modéré, islamiste violent, etc. Les événements dans le monde arabe et islamique et dans le reste de la planète confirment ce qu'enseignent les textes et l'histoire de l'islam. La réalité les a même dépassés au-delà de l'imaginable avec Daesh, l'ultime épreuve tragique infligée aux hommes et plus particulièrement aux Chrétiens  en terre d'islam. Intéressé mais moralement naufragé, l'Occident laïque s'est pris d'engouement pour les "islamistes modérés". L'adjectif est devenu une épithète de nature. Par naïveté peut-être, par veulerie sûrement, l'Occident, qui avait été jugé avec mépris par l'islam, lui a donné raison. Quant à espérer voir émerger un islam libéral, à la manière du judaïsme libéral qui vit à côté du judaïsme orthodoxe, force est de rappeler que celui-ci ne met pas à mort le premier. 
         Certains pensent que l'islam n'est pas davantage un bloc monolithique que ne l'avait été avant lui la plupart des systèmes politico-idéologiques, tel le communisme. En fait, en tant que mouvement il peut connaître des évolutions ou des polarisations qui pourraient modifier ses logiciels doctrinaux, mais rien au monde ne pourrait changer l'esprit de l'islam et de son enfant naturel, l'islamisme, tant qu'ils sont otages du même divin.
         Sans détour, l'ISESCO (Organisation Islamique pour l'Education, les Sciences et la Culture) a émis, en 2000,  un document dans lequel les Etats islamiques exposent les moyens du dispositif qu'ils activeront pour installer une civilisation de "substitution" à la place de l'occidentale. Le document détaille les outils à employer par les Musulmans: la taqiya (dissimulation légale), que le croyant est autorisé à pratiquer lorsqu'il s'agit de « protéger sa personne, ses biens et l'islam »; de même est préconisé un certain dialogue avec les occidentaux qui peut s'avérer utile aux différentes façons de s'introduire dans les failles de nos sociétés fragilisées par leur tolérance. Le but explicite, in fine, est d'imposer la loi chariatique. Ce document est de la même veine que la Déclaration des droits de l'homme en Islam, de 1979, laquelle proposait des droits spécifiques vus à travers le prisme chariatique, et se terminait par: « telle est la loi islamique, parfaite en ses dispositions, efficace en ses injonctions et juste en ses sanctions. Elle est parole d'Allah pour tout soumis (muslim) ».
         Le Turc Erdogan a repris en 1996, ce que l'Algérien Boumediène disait en 1974 à l'ONU: « nous vous conquerrons par vos valeurs démocratiques et nous vous gouvernerons par nos valeurs islamiques [...]. Les mosquées sont nos casernes, les coupoles de nos mosquées nos casques, les minarets nos baïonnettes et les croyants nos soldats ». Ces allégories, pour poétiques qu'elles soient, indiquent la conviction islamique des croyants visant l'Occident.
         Dans son livre Les banlieues de la République, le politologue Gilles Kepel révèle les défaillances de l'Etat français qui ont favorisé un islam rigoriste violent, lequel a pris le pouvoir dans de gigantesques banlieues de villes françaises: « la faiblesse des pouvoirs publics et la naïveté complice de l'Eglise font que le Tabligh (mouvement prosélyte hyperactif) recrute encore des adeptes en dépit de la concurrence farouche des salafistes soutenus par l'Arabie saoudite et le Qatar ». L'Université Libre de Bruxelles a organisé un colloque, le 13 novembre 2010, intitulé: Une majorité musulmane à Bruxelles en 2030: comment nous préparer à mieux vivre ensemble. Les actes de ce colloque ont été publiés et diffusés sur Internet (www.lalibre.be/regions/bruxelles/une-majorité-musulmane-en-2030-51b8e36be4b0de6db9c500a3). A la même époque, se basant sur une enquête de l'IFOP et sur le critère de la pratique religieuse, le Gatestone Institute conclut que l'islam est déjà la première religion en France (www.gatestoneinstitute.org/2355/france-islam-overtaking-catholicism).  
         Force est de constater que l'idéologie dominante a fini par contaminer l'Eglise. Cette idéologie est serinée par les média et des intellectuels spécieux, faite de nihilisme grimé en compassion pour les "minorités" nécessairement damnées de la nation, de volonté positive de confusion entre les normes et les marges, de déni des réalités et de culture pharisienne du mépris pour tous ceux ne la suivent pas. Le "vivre ensemble" a généralisé l'idée que les populations majoritaires ne bénéficient d'aucun droit d'antériorité sur les nouveaux arrivants. Leurs droits doivent s'effacer devant un droit universel à l'immigration. L'Eglise catholique s'est insérée, au nom d'une charité chrétienne égarée, dans la collusion des partis politiques occidentaux. Imperceptiblement, elle s'est trouvée se mêler de politique, faisant fi de sa propre doctrine sociale, tout en conservant la forme sémantique sans le fond. Des magistrats d'une justice mal rendue, des hautes institutions d'un Etat, de nombreux intellectuels, ainsi que la plupart des mass média ont ouvert les bras à un islamisme déchaîné, se révélant un grand danger politique, social et sécuritaire. L'Eglise a occulté les fondements de sa doctrine sociale pour s'occuper d'une nouvelle religion appelée "droits de l'homme et humanitaire".  Des jeunes religieux impatients d'intégrer le courant à la page iront jusqu'à dire: « le dialogue fait partie de l'identité de l'islam, à la fois fondé sur le Coran et pensé par les grands théologiens musulmans ». En mars 2013, s'est tenu une journée d'étude à l'Université catholique de Lyon consacrée à L'islam en France, dont plusieurs interventions consacrées aux publications des Editions Tawhîd. Il s'agit d'une maison fondée par Tariq Ramadan et sa famille dès son retour sur le territoire français en 1997, retour réclamé au ministère et obtenu par deux prêtres catholiques: Christian Delorme et Gilles Couvreur. Frère spirituel de Tariq Ramadan, Tariq Oubrou, imâm de la grande mosquée de Bordeaux y exposa son projet pour le renouveau de la pensée islamique "française". Le compte-rendu du colloque a été enthousiaste.
         Or l'imâm Oubrou, proche de la mairie de Bordeaux, avait réussi à empêcher la soutenance d'une thèse à l'Université de Bordeaux III de l'un de mes doctorants au motif que le sujet (L'application de la théorie des codes au texte coranique) était blasphématoire:  on ne peut appliquer à la parole d'Allah ce qu'on applique aux autres textes. L'imâm Oubrou donne des conférences dans toute la France et a ouvertement prêché que « le califat est une obligation; tant que les Musulmans ne sont pas réunis autour du califat, ils sont des pêcheurs » (http:islamineurope un blog.fr, 2011/02/11). Quant à Tariq Ramadan, il a pu, en 1997, donner son cours public durant un an à l'Institut Catholique de Toulouse, dans une salle comble, et la police aux portes pour filtrer la sortie des croyants et des croyantes galvanisés.
         Dans un article du Point du 17 janvier 2007, Malek Chebel, anthropologue musulman vivant en France, déclarait: « l'avenir est à l'islam; entre 2020 et 2050 l'islam sera la première religion monothéiste », opposant le christianisme "religion compassionnelle" à l'islam "religion virile" par définition.
         En mars 2012, autorisé par le délégué au dialogue islamo-chrétien de l'archevêché de Toulouse, un imâm de la mosquée du Mirail demande et obtient de "présenter l'islam" à des clarisses cloîtrées, lesquelles refuseront par la suite d'entendre autre chose, confiante qu'elles sont en leurs supérieurs hiérarchiques. Périodiquement, des groupes soufis s'installent au monastère bénédictin d'En Calcat pour chanter leurs hymnes (dhikr) avec ceux qui le veulent parmi les moines (cf Magazine du Doyenné des Crètes, mars 2012). Lors du forum chrétien-musulman à Rome, la délégation islamique comptait sept convertis à l'islam sur vingt membres, tandis que la délégation chrétienne écartait soigneusement un Magdi Allam dont le baptême avait été dénoncé violemment par des Musulmans et valu au Pape Benoît XVI une campagne de presse de critiques acerbes islamo-chrétiennes organisée par des prêtres catholiques.
         Le 9 septembre 2014, un communiqué conjoint du SRI (Service épiscopal des Relations avec l'Islam) et de l'Œuvre d'Orient, intitulé « refusons l'instrumentalisation de la tragédie en Irak » (www;saphirnews.com/refusons-l-instrumentalisation-de-la-tragédie-en-irak), révèle que le souci majeur de ces professionnels du dialogue n'est pas de sauver les Chrétiens, mais de sauver le dialogue. Il conclut  par un véritable chantage: « cette situation tragique ne peut être instrumentalisée pour nuire en aucune manière au dialogue islamo-chrétien. Ce dernier est plus nécessaire que jamais. Les Chrétiens n'auraient pas d'avenir en Orient sans ce dialogue ».  C'est vouloir ignorer les déclarations du cardinal Sfeir, de Mgr Sako, du P. Boulad et de bien d'autres qui montrent l'inanité de ce dialogue en Occident et sa stérilité pour les Chrétiens d'Orient chez eux.
         Le terme dialogue signifie échange, sinon tout à fait à égalité du moins dans le respect de chacun pour la parole de l'autre, sans préemption, présupposé ou prédétermination. Etourdis par le dialogue unilatéral, il arrive que des hommes d'Eglise se trompent en voulant juste plaire à cet impétueux courant. Ainsi, le cardinal Barbarin raconte-t-il: « jeune séminariste, un vieux prêtre m'a dit: apprend la shahâda par cœur. Peut-être un jour seras-tu au chevet d'un Musulman en train de mourir.  Si tu veux l'aider, mets-le en face de Dieu en lui rappelant les mots de son enfance qui tourneront son cœur vers Dieu. Et je l'ai fait avec grande joie » (conférence à la cathédrale Saint Louis de Versailles le 4 janvier 2011). Par principe, « prononcer la shahâda devant témoins et avec conviction » suffit, au regard de l'islam légaliste, pour être reconnu comme musulman. Naguère on enseignait que le devoir de tout Chrétien est d'offrir l'annonce évangélique à toute âme durant sa vie et jusqu'à l'ultime instant de celle-ci. L'imâm de la grande mosquée de Lyon Kâmel Kabtane condamne en des mots diplomatiques les massacres massifs des Chrétiens d'Irak six mois après les faits tout en se prévalant de son amitié avec le cardinal qu'il invite en Algérie.
         Le cardinal Tauran, quant à lui,  déclare: « de toutes façons, il n'y a pas d'alternative: soit nous choisissons le dialogue, soit c'est la guerre » (la.croix.com, le 5-01-2015). On ne peut exprimer plus clairement la résignation de l'Eglise face au chantage et aux menaces de l'islam politique.
         L'affaire de Benoît XVI à Ratisbonne, où des prêtres organisent des campagnes dans la presse pour s'indigner avec des Musulmans de l'offense faite à Muhammad et à l'islam, et qui nuit au dialogue islamo-chrétien, se passe de commentaire. Enfin, sur son site, le 11 janvier 2019, le diocèse de Saint-Denis, près de Paris, publie un message vitupérant un groupe appelé Jésus le Messie, qui annonce le Christ dans des forums itinérants en France: « ce groupe n'a aucune légitimité. Il rassemble des personnes organisées en lobby islamophobe ». Le message dénonce l'idéologie de ce « forum qui prêche le rejet de l'autre [... et prône le] refus de dialoguer avec les Musulmans en dehors d'une volonté affichée de les convertir au christianisme ». Finalement, il invite les Chrétiens à ne pas se laisser abuser par les « prophètes de malheur ». Désormais, aux yeux des adeptes du dialogue, annoncer l'Evangile est un délit, évangéliser est un crime.
         Peu avant la prise de Jérusalem par les armées islamiques en 634, l'évêque Sophronios, affligé, a dit: « les Agarènes sans Dieu ont conquis la Bethléem sacrée. Dorénavant, les Chrétiens doivent rester à l'intérieur de la ville. Nous devons maintenant tenir compte du glaive barbare et sauvage des Sarracènes qui a été tiré avec une cruauté réellement diabolique ». Lorsque l'islam apparaît au début du VIIe siècle, plus de 90% des habitants du Moyen Orient dans l'Empire byzantin sont chrétiens.  Au début du XXe siècle, leur nombre atteint moins de 25%. Aujourd'hui, il est inférieur à 5%, tandis que les Musulmans dépassent les 90%.
         Dans ces temps difficiles, l'analyse de saint Thomas s'avère prophétique: les trois religions monothéistes ont, certes, en commun la foi en un Dieu Un et Révélant, par opposition aux religions asiatiques et à l'animisme; mais il fait une double distinction qui nous étonne par son actualité: pour ce qui est de l'opposition à la foi chrétienne connue, alors les Musulmans sont plus éloignés du christianisme que les Bouddhistes et les animistes; pour ce qui est de la corruption des valeurs de la foi, alors les Musulmans, après les hérétiques et les Juifs, sont avant les autres païens.
         On peut penser, à la limite qu'une crise d'athéisme s'avèrerait nécessaire. En effet, on sait que l'athéisme chez les Musulmans est le fait de ceux qui n'ont pas renoncé à leur esprit critique. Contrairement aux athées occidentaux, les athées ex-musulmans ne sont ni dogmatiques ni affligés d'un complexe "de supériorité intellectuelle".

 - En guise d'épilogue.

         « Chassez le christianisme et vous aurez l'islam » prédisait Chateaubriand. Le pacte entre les défenseurs des droits de l'homme et les Musulmans en Europe est fondé sur la visée d'une cible commune: le christianisme. Ce pacte est paradoxal et contre nature à cause de la répugnance de l'islam envers les droits de l'homme et la laïcité, tous deux antinomiques à ses enseignements doctrinaux, et du fait que l'islam ne connaît que la défense des droits de Dieu, lesquels sont largement enjambés par l'homme occidental. Ces deux partis, obnubilés par le rejet du christianisme, voudraient réserver à l'Europe le même sort qu'à l'Orient chrétien: une islamisation, avec ou sans armes mais inéluctable, exploitant les accélérations de l'histoire ou des temps d'accalmie ponctuels trompeurs. Sauf de rares exceptions, montrées du doigt de l'opprobre, l'Eglise ne défend plus le christianisme. Lorsqu'elle s'exprime, son discours est empêtré dans le politiquement correct du monde.
         La conférence épiscopale française s'est montrée très diplomate par temps d'attentats islamiques contre des églises et leurs fidèles, de peur de "l'effet surenchère". Les renoncements, les atermoiements et les contorsions langagières de l'Eglise n'ont point désamorcé la résolution des islamistes; au contraire, ils voient dans cette posture les preuves de l'anémie chrétienne en Occident. Tariq Ramadan peut asséner à l'envi que le temps du judéo-christianisme est passé, c'est le temps de l'islam qui arrive.
         Certes le christianisme prône le pardon mais pas au prix de sa propre extinction.

           Marie-Thérèse URVOY