Marie-Thérèse URVOY
De l'islam politique
1. Aux fondations de l'islam
politique: histoire et textes.
Dans
son histoire, l'islam s'est toujours distingué par le caractère obsessionnel de
son rapport au pouvoir. A Médine, dès
qu'il le put matériellement, il assuma un lien intime et constitutif entre le
religieux et le politique.
C'est
sans doute la Charte de Médine, appelée par les Musulmans contemporains constitution,
qui est le premier marqueur fondateur de l'islam politique. Mais avant, quel
était l'impact concret de la nouvelle prédication commencée en 610 à la Mecque?
Le monothéisme prêché par Muhammad était bien une rupture avec le polythéisme
ambiant. L'islam ne présentait qu'une différence avec beaucoup de valeurs
préislamiques restées inchangées: mais elle résidait dans plus d'évidence, de
simplicité et de forte certitude sous la protection d'un Créateur unique, plus
puissant que toutes les autres divinités. Sur le plan éthique, les liens
essentiels et innés, qui unissaient les membres d'une même famille, comme dans
toute société primitive proche de la nature, ont été repris et amplifiés dans
l'islam, sous la seule réserve qu'ils ne s'opposent en rien à la nouvelle
prédication. L'événement historique est sans conteste le remplacement du lien
tribal et clanique par le seul nouveau lien religieux. La fraternité entre tous
les Musulmans est la première caractéristique essentielle de la nouvelle
religion et d'une nouvelle société. La communauté, sacralisée par Allah dans le
Coran, s'approprie spontanément réflexes psychologiques et usages propres aux
tribus. Le Coran ne manque aucune étape de ce transfert, ni de rappeler en
diverses formulations, que « les Musulmans sont durs envers les infidèles,
miséricordieux entre eux » (XLVIII, 29). Ce qu'un célèbre traditionniste des débuts de
l'Islam, al-Fudayl Ibn ʽÎyâd, traduira ainsi: « le plus solide des liens de l'islam,
c'est l'amour en Allah, et la haine en Allah ».
Le
concept de la communauté (umma) dans la société islamique est clairement
énoncé dans la Charte citée plus haut. Celle-ci a été établie par Muhammad
après son émigration (hégire)
à Médine, notion sacralisée en islam en imitation du prophète "excellent
modèle [à suivre]" indiqué par Allah dans le Coran (XXXIII, 21). Ce
concept de umma est repris dans nombre de corpus de hadîths (traditions
prophétiques), et participe à la définition de l'islam des origines en ces
termes: « c'est
le ralliement ou la soumission à un pouvoir nouveau, instauré par un prophète
qui en définit les lois au nom de Dieu, et dont les assises politiques sont
appuyées sur une action militaire permanente » (A.L. de Prémare). Cela est
parfaitement rendu dans les récits canoniques appelés "les campagnes de
l'Envoyé d'Allah" (maghâzî rasûl Allâh), lesquelles jouent un rôle
capital dans l'histoire des débuts de l'Islam et dans la formation de son Droit
(fiqh). L'un des plus anciens hadîths dit: « j'ai reçu l'ordre d'Allah de
combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils disent “point de
divinité excepté Allah”. Celui qui dit “point de divinité excepté Allah”
préserve de mon atteinte ses biens et sa personne ».
La Charte de Médine a été rédigée par
Muhammad pour asseoir les bases de sa confédération. Les thèmes les plus cités
par les hadîths concernent surtout des réglementations des relations sociales (muʽâmalât):
dette de sang en cas de meurtre, rançon des prisonniers, etc. Mais le thème le
plus récurrent est celui de l'étroite solidarité entre les adhérents au
mouvement contre ceux qui lui sont réfractaires. Dans plusieurs hadîths
confirmés revient une déclaration de Muhammad établissant Médine en tant
qu'enclave sacrée (haram), au même titre que la Kaaba mecquoise.
A ce stade de la vie de Muhammad, il
n'y a pas encore d'Etat, mais une confédération guerrière, avec une charte,
celle de Médine. Concomitamment la révélation coranique prescriptive
l'accompagne. La partie introductive du document est fort éloquente quant à sa
nature et à celle des groupes qui en sont partie prenante: « ceci est un écrit
de Muhammad le prophète, établie entre ceux de Quraysh et ceux de Yathrib qui
se sont affidés, et ceux qui les ont suivis et, s'étant joints à eux, ont
combattu avec eux. Ils sont une confédération unique, à l'exclusion des autres
hommes ». Pour Muhammad, le modèle est Moïse, perçu comme fondateur d'un peuple
autour d'une loi de Dieu et d'un objectif de conquête. De plus, il est dit dans
la Charte: « chaque fois que survient un différent entre vous, sur quoi que ce
soit, l'affaire sera soumise à Allah et à Muhammad [...] Si entre les gens de
cette charte survient un méfait ou un conflit dont on peut craindre une
détérioration, on soumettra l'affaire à Allah Très-Haut et à Muhammad le
prophète ». C'est donc ce dernier qui garde de toute détérioration éventuelle
de la cohésion du groupe. Allah lui-même, dans le Coran, ordonne l'acceptation
des arbitrages de son envoyé, en même temps que l'obéissance à celui-ci (IV, 64-65).
Un terme de cette Charte de Médine
désigne les adhérents au mouvement de Muhammad: muʼmin
(pl. muʼminûn).
De nos jours, ce mot est traduit généralement par croyant, ce qui induit
un sens religieux individuel et restreint, tel qu'on le conçoit dans d'autres
cultures. Or la lecture objective, dans le contexte historique du document,
comme parfois dans le Coran, révèle dans le lexique islamique les connotations
originelles, essentiellement communautaires. Chez les commentateurs coraniques,
le pluriel muʼminûn
désigne au départ ceux qui se sont portés garants les uns des autres en
établissant entre eux un pacte de sécurité mutuelle en cas d'agression et de
guerre. Ils "se confient" les uns aux autres, comme dit A.L. de
Prémare; ce sont les affidés (du latin afidare : promettre);
littéralement "à qui on se fie pour un mauvais coup", au sens propre
et ancien du mot fides (foi). Cela est rendu en arabe par âmana,
dont muʼmin
est le nom du sujet. La signification religieuse n'intervient là que parce que
c'est Allah qui se porte lui-même garant de ce pacte de solidarité établi par
Muhammad entre les affidés qui croient en la qualification de celui-ci comme
prophète.
Il faut ajouter que nous retrouvons
dans le Coran cet usage premier du verbe âmana au sens de "se fier
les uns aux autres". Il est dit que le prophète « se fie aux muʼminûn
», alors qu'il ne « se fiera point » à ceux qui restent en arrière et trouvent
des prétextes pour ne pas engager leurs biens et leurs personnes dans le combat
sur le chemin d'Allah (IX, 41, 44, 73 et 81).
Les affidés « sont une umma
unique, à l'exclusion des autres hommes », dit le début de la Charte. Dans le
grand dictionnaire classique Lisân al-ʽarab,
umma veut dire d'abord groupe, ou groupement humain en un sens
neutre. Ici, il ne désigne pas un groupement ethnique ou tribal, mais dans
le contexte de l'Arabie d'alors, une confédération entre le groupe de
Qurayshites mecquois, nouveaux venus à Médine avec le prophète, et les
différents clans et tribus de la zone de Médine. Cette confédération est de
nature politique, soudée par l'adhésion au prophète d'Allah. Elle se définit
par le fait qu'elle est exclusive de tous ceux qui n'y ont pas adhéré. La
finalité de cette organisation est de garantir l'efficacité de l'effort de
guerre commun. Celui-ci est exprimé au tout début de la Charte par le mot jihâd,
qui sera précisé plus tard par l'expression "le combat sur le chemin
d'Allah". Une réglementation stricte, dans une casuistique pointue, fait
qu'un affidé croyant peut échapper à une sanction, même s'il est coupable, si
la victime est étrangère au groupe. Cette solidarité est d'abord un réflexe de
survie du groupe, dira l'historien Muhammad Talbi, pour justifier les violences
des débuts de l'Islam, « car il s'agissait de la défense et de la pérennité de
la umma primitive ». Ce n'est pas un hasard si, lorsque le Coran dit: « les
croyants sont seulement des frères » (XLIX, 10), il utilise la particule
grammaticale innamâ qui comporte un sens exclusif, mais aussi un effet
amplificateur qui dynamise la phrase nominale. Elle est à mettre en perspective
avec la particule illâ, l'exceptif du cri monothéiste « il n'y a point
de divinité sauf (illâ) Allah », qui charge la phrase nominale, ici
négative, d'un exclusivisme farouche. Dans ces deux exemples, nous avons bien
plus que des procédés, mais de véritables stratégies stylistiques qui visent un
impact et un résultat commun: la mise en valeur de l'aspect absolu et de la retombée catégorique dans le mental des
croyants. D'ailleurs, le commentateur
al-Râzî affirme que la particule innamâ est là pour signifier la
restriction: « pas de fraternité sauf entre Musulmans ». Il explique son
interprétation à l'aide de prescriptions légales qui évacuent radicalement une
quelconque fraternité entre un Musulman et un infidèle, lequel ne peut en aucun
cas hériter d'un Musulman.
Allah rappelle à maintes reprises aux
Musulmans, qui sont les seul croyants dès le Coran: « vous êtes la meilleure
communauté qui ait été produite pour les hommes; vous ordonnez le bien,
interdisez le mal, et vous croyez en Allah » (III, 110). A partir de là,
l'islam a considéré la supériorité de la communauté des croyants comme le
premier ciment entre eux: ils ont pour signe distinctif le discernement entre
la croyance et l'infidélité, le bien et le mal.
De l'invincible affirmation de
l'unicité d'Allah dérive le sens très ardent que possède le Musulman de l'unité
qu'il forme avec ses frères dans la même foi.
Ils sont missionnés par Allah pour défendre ses droits sur terre. Ils
sont ses serviteurs élus et chargés par lui de l'exécution du plan divin qui
coïncide avec les prescriptions sociopolitiques descendues sur son prophète
pour l'humanité et pour le triomphe de l'islam sur toute religion (IX, 33).
Ce bref rappel des sources de l'Islam à
Médine permet de saisir la notion de "domaine de l'islam" (dâr
al-islâm) dans ses rapports avec les infidèles. Il désigne l'ensemble des
terres où est observée la loi coranique. Il est la représentation concrète de
l'organisation politique de l'Islam. A
côté du domaine de l'islam existe le "domaine de la guerre" (dâr
al-harb), appelé également "domaine de l'infidélité" (dâr
al-kufr). Le conquérir est un "devoir collectif" pour installer
la umma qui défend les droits d'Allah.
Une telle répartition du monde rend un aggiornamento
techniquement difficile car le Droit islamique classique est structuré selon un
schéma précis de toute société islamique: 1. les hommes et les femmes; 2. les
personnes libres et les esclaves; 3. les Musulmans et les non musulmans. Tous n'ont pas les mêmes droits ni les mêmes
devoirs. Bien entendu la communauté des croyants est privilégiées en raison de
son origine sacralisée dans le Coran. Un
Etat islamique se veut à transcendance divine, coranique et chariatique. Ses
terres sont des terres d'Allah, du Coran et de la loi d'Allah. Cette soumission
à une transcendance se trouve dans la disposition, par constitution, que
l'islam "est la religion de l'Etat", et pas seulement "religion
d'Etat". L'Etat fait profession
d'islam. Dans un Etat islamique, l'adhésion à la communauté ne pose point
directement la question d'une vie nouvelle, au sens de la rénovation
individuelle par la vie de la grâce (celle de l'homme nouveau de Saint
Paul), car l'islam est une religion de la masse, de la collectivité. Elle est
essentiellement un état, un statut juridique (hukm), directement voulu
et décrété par Allah. Les individualités qui s'y soustraient sont traquées,
persécutées, voire mises à mort par l'islam officiel traditionnel.
2.
Réception et application des sources fondatrices par le croyant.
Fondé sur une révélation coranique sans
progression, et sur l'imitation de l'exemple muhammadien, l'islam se dit,
depuis l'époque médinoise, "religion et Etat" (dîn wa dawla),
et également "religion et monde [d'ici-bas]" (dîn wa dunya).
En raison de l'origine divine des deux paradigmes, on exclut toute
interprétation qui viserait à déroger pour une histoire ou pour un espace
humain, nécessairement reconnu comme inférieur au divin.
Dans les temps contemporains,
l'expression des deux binômes est visible dans la confrontation voulue par
l'islam entre son modèle propre et le modèle occidental des sociétés modernes
(d'accueil): lors de manifestations islamiques, en pays islamiques ou en pays
occidentaux en crise minés dans leurs racines, les Musulmans manifestent en
brandissant des bannières couvertes de slogans symptomatiques: « l'islam est la
solution », « le Coran est notre constitution »; on a même vu à Luton, au
Royaume Uni: « la sharîʽa
est notre Droit ».
Depuis les années 70, sous la pression
de la masse, la revendication islamique s'est organisée paradoxalement au sein
d'une classe instruite, ou semi-instruite, souvent formée en Occident et rompue
aux techniques les plus évoluées des sciences appliquées et des sciences dures.
L'Occident, tel qu'il était perçu par les Musulmans, a été identifié à la
modernité. De son côté l'islam, tel qu'il s'exprimait, s'est identifié à la
tradition. La rencontre des deux faisait difficulté majeure. A ceux qui osent
proclamer: « la religion est à Dieu mais la patrie est à tous », la réplique de
l'islam qui se veut authentique, est nette: ceci est valable pour des sociétés
qui ont toléré des théories évolutionnistes d'un Darwin ou d'un Walace pour la
biologie, ou d'un Spencer pour la philosophie morale, ou encore le matérialisme
marxiste. Ces sociétés ont perdu le sens du sacré et du divin. Dans la société
islamique, le statut juridique (hukm) de leurs disciples doit être celui
des infidèles. Ces doctrinaires élargissent ces idées à une possible
interprétation islamique de la société: la laïcité peut s'exercer si elle
signifie la stricte séparation de la religion et de l'Etat, mais à condition
que la umma soit déclarée "source des pouvoirs". Cela
correspondrait au principe démocratique dans les sociétés modernes: le démos
(dans démocratie) est reconnu dans la umma, communauté
humaine sacralisée dans le Coran.
Les bédouins, vivant en marge des
entités politiques constituées, respectaient une hiérarchie certaine, au sommet
de laquelle se trouvait le seigneur (ou maître: sayyid).
Son autorité reposait sur ses qualités, mais surtout sur la lignée à laquelle
il appartenait (nasab). Il pouvait être contesté à l'occasion d'une
déficience ponctuelle, mais la qualité de noble (sharîf)
continuait à faire bénéficier les descendants des vertus de leurs ancêtres.
Cette idée, trouvant son principe même dans le prophète de l'islam, est devenue
la règle absolue dans tous les pays islamiques.
Le Coran se fait l'écho de la
revendication de la suprématie politique au profit du prophète. Il est répété
qu'il faut « obéir à Allah et à son envoyé » (IV, 59 -69), puis, explicitement
affirmé que « quiconque obéit à l'envoyé, obéit à Allah » (IV, 80), voire que «
[Dieu n'a] envoyé de messager que pour qu'il soit obéi » (IV, 64). Cette autorité revendiquée par le prophète est
bien celle d'un juge qui arbitre dans les affaires temporelles des hommes;
c'est Allah lui-même qui dit au prophète: « ils ne seront pas croyants aussi
longtemps qu'ils ne t'auront demandé de juger de leurs disputes et qu'ils
n'auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu'ils se soumettent
complètement à ta sentence » (IV, 65). Il y a ainsi un lien causal entre
révélation et pouvoir temporel: « nous avons fait descendre vers toi le Livre
avec la Vérité pour que tu arbitres entre les hommes selon ce qu'Allah
t'a appris » (IV, 105). Aussi n'y eût-il presque aucune opposition à ce que, à la mort du
prophète, son lieutenant (ou vicaire: sens du mot calife)
assume la fonction à la fois de chef spirituel et de souverain temporel et chef
de guerre. Il y a eu de nombreuses
contestations, des conflits sanglants et des assassinats politiques autour de
l'attribution de cette fonction à tel ou tel, mais jamais sur la légitimité de
cette fusion des deux fonctions.
De plus, la tradition (sunna:
ensemble des traditions prophétiques) met en avant les mérites intrinsèques de
la famille du prophète. Un hadîth ordonne: « vénérez Muhammad dans les
personnes de sa famille » (Bukhârî). D'où l'annexion par l'islam de la notion
antéislamique de sharîf (noble), mot qui désigne désormais un
descendant de Muhammad, la noblesse de celui-ci rejaillissant sur tout membre
de sa lignée. D'où quantité d'acrobaties des généalogistes pour faire descendre
du prophète tel autocrate berbère, comme Ibn Tûmart qui est à l'origine de
l'Empire almohade, ou turc, comme les Ottomans qui reprirent à leur profit le
califat en principe réservé à un membre de Quraysh (la tribu arabe du
prophète).
La conception orthodoxe du pouvoir a
été clairement exprimée au XIe siècle par le grand classique de
Droit public islamique, Les statuts gouvernementaux de Mâwardî (m.
1058). Le pouvoir n'appartient qu'à Allah, qui le délègue à son prophète,
lequel le délègue à ses lieutenants (califes), lesquels, à leur tour, le
délèguent aux autorités particulières: ministres, chefs militaires, juges, etc.
jusqu'à l'échelon le plus bas. Loin d'être un ouvrage de philosophie politique
qui serait un chaînon entre la Cité vertueuse de Fârâbî (m. 950) et les Prolégomènes
d'Ibn Khaldûn (m. 1406), ce traité, schéma de la parfaite théocratie, est
une synthèse originale et détaillée qui voulait concrétiser une méditation
marquante sur la nature du sunnisme politique après le désordre causé par des
princes chiites.
Peu de temps après Mâwardî, le califat
a été obligé de se replier sur ses fonctions religieuses et de céder le pouvoir
temporel et politique au sultan, ce qui est advenu aux Turcs seljukides.
Mais on a maintenu la fiction initiale en présentant cet abandon comme une
simple délégation d'autorité.
Ce pouvoir politique et temporel, fondé
sur une délégation provenant d'une autorité spirituelle, aurait dû en principe
ne pas survivre à l'abolition du califat par Mustafa Kémal en 1923. Or,
paradoxalement, il en résulta, étant donné des habitudes prises, que les
régimes laïcs existants ont tout simplement absorbé les prérogatives du
califat. Aussi, dans un pays prétendument laïc comme la Syrie, le prône du
vendredi doit-il encore être fait au nom du chef de l'Etat; comme autrefois, ne
pas le faire est considéré comme un geste de rébellion, puni comme tel.
Il n'y a point, dans le monde
islamique, cette sorte de nostalgie qui anima les démocraties modernes à
l'égard de formes qui paraîtraient très contestables, mais qui montrent
l'ancienneté de l'idéal: les cités grecques, les cantons suisses, les mouvements
protestants depuis la Bohème hussite jusqu'à l'Amérique, etc. Bien au
contraire, la nostalgie du monde islamique renvoie, pour certains jusqu'à
l'ivresse, aux grandes périodes de
succès militaro-politiques, et par suite aux périodes où le pouvoir du souverain
islamique dominant était le plus fort.
A notre époque on voit certains
s'extasier devant l'importance donnée, depuis la Révolution iranienne, aux économiquement faibles (mustadʽafûn)
évoqués déjà dans le Coran. De fait, les mouvements fondamentalistes se sont
empressés à créer des organismes d'aide aux démunis, ce qui leur vaut sympathie
populaire et suffrages lors des élections. Mais ici une réserve importante
s'impose: cette aide reste réservée à l'intérieur de la communauté islamique;
elle ne s'adresse pas aux non croyants et infidèles à l'extérieur, si ce n'est
à de très rares exceptions, en terre non islamique, lorsqu'il s'est avéré
opportun de rivaliser dans les banlieues de certaines grandes villes en France
avec les Restos du cœur.
« Tout périt sauf sa face », dit le
Coran. Ramon Lull, au XIIIe siècle, louait des Musulmans de ce que
quiconque faisait apprendre un métier à son fils, quelle que soit sa richesse,
car rien n'est stable en ce bas-monde.
Ce qui conduit à ne considérer les hiérarchies temporelles et politiques
que comme des données de fait, non de droit. L'histoire abonde d'exemples
d'hommes de religion tançant le souverain en l'appelant non pas roi (malik),
mais faqîh (jurisconsulte), se plaçant ainsi au même rang que lui car les
hommes de religion ont toujours revendiqué qu'ils étaient détenteurs du savoir
religieux, lequel en islam est la seule source d'autorité. Mais il y a plus: à
l'exception du chiisme qui a un clergé structuré hiérarchiquement, la grande
majorité de l'Islam ne connaît pas de hiérarchie absolue. N'importe quel cheikh de quartier peut
formuler une fatwâ (consultation juridique) contredisant le cheikh
al-islâm du gouvernement. Le premier sera suivi par nombre d'adeptes. Le problème majeur de notre temps est que les
mouvements extrémistes, voire terroristes, s'appuient sur de tels hommes de
religion qui exploitent leur aura personnelle face aux compromissions supposées
et reprochées à leurs collègues en place.
Même la hiérarchie chiite peut être subvertie; le cas de Khomeynî
l'illustre bien: il n'était pas l'ayatollah le plus important, titre
appartenant à l'ayatollah Madarî, mais il put l'écarter en s'appuyant sur le
mouvement des économiquement faibles indiqué plus haut.
Dans l'apologétique moderne, la
question lancinante depuis la mise en contact forcé du monde islamique avec
l'Occident est: pourquoi les Musulmans sont-ils en retard, et comment, alors qu'Allah
leur a donné pendant longtemps la victoire et la supériorité, les a-t-il
abandonnés au point qu'ils aient été soumis à l'infidèle? La réponse depuis
Tahtâwî, qui visita la France et connut la révolution de 1830, est double.
D'une part, pensent les Musulmans, il est possible de prendre à l'Occident son
acquis scientifique et technique, qu'il n'a obtenu que grâce à la transmission
par les Arabes du savoir antique, en le détachant de l'arrière-plan moral et
idéologique, lequel est dans son ensemble foncièrement pervers. D'autre part,
si on devait reconnaître à l'esprit occidental des points positifs (liberté,
égalité devant la loi, soif du savoir ...), ces qualités appartenaient déjà au
monde islamique qui les a juste oubliées par la faute des intrusions d'étrangers
dans son histoire; il suffit donc de les restaurer dans leur forme primitive.
Cette vision du monde a le grave
inconvénient d'ignorer le lien ontologique entre la mentalité générale et
l'activité scientifique et technique, comme l'ont montré des analyses de Max
Weber sur l'esprit du capitalisme. Se sont alors multiplié des ouvrages
sur les valeurs islamiques des premiers temps de l'islam, rejoignant ainsi
l'idéal des "réformateurs" de la fin du XIXe-début XXe
siècle qui conclut que point de salut pour les Musulmans sauf dans un retour
aux anciens (salaf) des temps de Médine. De ces faits, tant que
l'islam reste politique, les Etats islamiques, même s'intitulant
"république", demeurent des théocraties où votes et élections sont étroitement contrôlés par les
défenseurs de l'orthodoxie religieuse.
Ce qui se passe en Iran, ou en Egypte sous les Frères Musulmans, ou
encore en Turquie jusqu'à présent (l'effort de laïcisation d'Ataturk s'est
arrêté avec sa mort en 1934), en est une claire démonstration.
Cependant, des signes (nous n'en
présenterons que quelques-uns) d'une possible évolution permettent l'espoir: En
1925, un an après la suppression du califat, un cheikh d'al-Azhar, ʽAlî ʽAbd al-Râziq, a
répondu à l'émotion publique générale en affirmant que l'islam est un message
purement intérieur, qui n'aurait jamais dû être érigé en système politique. Le
califat était donc une dérive, et même une trahison. Cet auteur fut radié de son poste et condamné
mais, fils d'une grande famille, il ne fut pas exécuté. De nos jours son livre
est repris par certains. Le Soudanais Mahmûd Muhammad Taha a poussé plus loin
ce refus de toute politisation de l'islam. Là où le premier acceptait que la
personnalité du prophète lui ait donné le droit de diriger temporellement ses
adeptes, Taha considérait que, dès l'hégire et dès le moment où Muhammad est devenu
chef temporel et politique, il y a détournement de la religion. Sans pour
autant condamner ce qu'a fait le prophète à Médine, il le considérait comme
n'ayant aucune valeur en dehors de ce contexte. Or c'est cela précisément qui
est à la base du Droit islamique. Pour Taha, en revenant à la seule partie de
la révélation d'avant l'hégire, quand Muhammad était seulement prédicateur
libre de toute attache mondaine, on retrouverait la vérité de l'islam
spirituel. Cette position comporte des difficultés qu'il n'est pas lieu de discuter
ici. Mais bien que Taha ait été condamné et pendu, l'idée chemine et gagne des
adeptes au péril de leur vie. Ils rêvent d'un islam purement intérieur, ne
retenant que les enseignements spirituels intemporels qui pourraient
s'accommoder de n'importe quel régime politique.
Malheureusement, en Europe et en
Occident plus généralement, si beaucoup de Musulmans d'un certain âge,
notamment émigrés, évoluaient inconsciemment vers cette conception, les jeunes
générations, gagnées par le phénomène de réislamisation, revendiquent, eux,
l'intégralité de leur héritage historique et le droit de le faire prévaloir sur
les lois modernes tant en pays islamiques qui les adoptèrent à partir du XIXe
siècle, à l'imitation de l'Europe, qu'en pays occidentaux d'immigration.
Encore aujourd'hui des Musulmans
réclament une réforme de cet islam politique né à Médine et radicalement
incompatible avec les cultures et les civilisations du reste du monde. Fort minoritaires et menacés, ces Musulmans
s'exilent en Occident pour éviter l'assassinat "religieux" dans leur
pays d'origine. Ils œuvrent individuellement, chacun avec son analyse, son
approche et son propre angle de tir. Dans les années 90, l'Egyptien Nasr Abû
Zayd écrit un essai intitulé Repenser le Coran. Il y affirme que dans le
Coran c'est Allah qui parle, mais que c'est un être humain qui l'a écrit. De
plus, lorsqu'on rend compte de paroles quarante ans après qu'elles aient été
dites, il y a nécessairement approximations, erreurs, amplifications ou
réductions qui peuvent survenir. Nasr Abû Zayd finit sa vie en Europe, privé de
sa famille, sa femme empêchée de rejoindre un "apostat". Il semble cependant
que le couple ait pu se réunir ultérieurement.
En 1994, Saʽîd al-ʽAshmâwî publie Vérité
du voile islamique et argumentation selon le hadîth. Il y fait la
démonstration que rien, dans les textes sacrés, n'oblige au voile, lequel
demeure un strict marqueur politique.
Beaucoup d'autres écrits ont suivi. Ce livre actualisé a été réédité en
2003, car le voile était devenu alors une affaire d'Etat et un symptôme
agressif délibéré de la présence islamique en Occident, avec ses interrogations
et ses difficultés. D'aucuns ne pouvaient imaginer ce qui allait advenir dans
les décennies suivantes. En 2004, le même auteur publie, dans la revue Al-Jumhûriyya
du mois de janvier, dans une série d'articles circonstanciés, des textes
issus des traités classiques de Droit islamique où il est précisé, entre
autres, « qu'il n'est pas permis à un Musulman de demeurer dans un pays non islamique
- en tant que tel territoire impur de la guerre (dâr al-harb) - plus de
dix jours [...] 1. le temps de payer la rançon d'un captif musulman, 2. celui
de s'acquitter d'une représentation d'ambassade, 3. de payer un marché conclu
aux frontières ». L'auteur s'interroge donc sur « les motivations des Musulmans
qui se fixent en Occident contre tout principe légal (sharʽî)
islamique, avec leurs lois qu'ils cherchent à imposer, leur culte dans ce qu'il
a de plus inadéquat dans la modernité de ces pays, leur mode de vie imperméable
aux autres de par son caractère confessionnel astreignant [...]. Ils
s'acharnent à islamiser tout ce qu'ils touchent ou qui les touche. Ce faisant
ils ne respectent pas leurs propres textes. Ceci n'est pas l'islam non plus ».
Bien que al-ʽAshmâwî
ait été le magistrat conseiller d'Anouar al-Sadate, et une illustre figure des "Fondamentalistes
rationalistes", il vit depuis cloîtré sous protection policière, plusieurs
fatwâ ayant rendu son sang halal . C'est ce même auteur qui, dans son
livre Le califat islamique, de 1992, dénonçait la schizophrénie chez les
Musulmans qui a abouti à une mémoire sélective funeste lorsqu'il s'agit de leur
histoire remplie de massacres et de destructions « entre Musulmans, sans nul
besoin ni d'étrangers aux Arabes, ni de colonisateurs » (p. 17-18). En même
temps il défendait sans ambages le concept du califat comme étant le pouvoir
centralisé dans la personne du calife, pivot essentiel de l'histoire politique
de l'Islam. Le califat islamique est le pôle où se réalise le sens de
l'histoire, et où s'est cristallisée la pensée politique de l'islam, mais des
groupes islamistes en ont perverti le principe en ramenant la demande de son retour à la
recherche de la gloire passée de leur époque d'or. Ils ont aggravé cette
illusion en confondant l'idée de gouvernance avec le commandement du califat en
Islam. Ils se sont mépris sur l'autorité religieuse et sur celle civile et ont
confondu l'islam et l'histoire de l'islam.
Pour al-ʽAshmâwî, le califat n'est point un
mauvais concept en lui-même, mais ce sont les Musulmans qui l'ont corrompu: dans
le Coran, le prophète n'avait pas de gouvernement, dans le sens moderne, ni
ministère, ni administration, ni police, ni magistrature, ni monnaie frappée à
son nom; il n'imposait pas de taxes particulières. Ce qu'il prélevait comme
aumône ou capitation, et comme butin, n'était que son droit en tant que
prophète, tel qu'il est dit dans le Coran, et non en tant que gouverneur, roi
ou prince. Cela veut dire que le prophète n'a pas gouverné en tant que roi;
mais en tant que prophète de Dieu, envoyé aux hommes. Les prélèvements qu'il
prenait ne sont qu'obéissance à des versets descendus d'Allah dans le Coran
(IX, 103; LIX, 7; VIII, 41; etc.). Finalement, « la vile confusion de la
religion avec la politique et de la prophétie avec le pouvoir et son rôle, a
abouti à une conséquence extrêmement grave et infiniment préjudiciable au cours
du roman islamique et général des fléaux en Islam ».
3.
L'islam en Occident: laïcité et Eglise.
De nos jours, les
Musulmans qui persistent à vouloir vivre en domaine d'infidélité (dâr
al-kufr) se mobilisent pour défendre « l'islam et les droits d'Allah »,
premier devoir du croyant avec celui d'étendre dâr al-islam à la terre
entière. Pour le monde extérieur, ils affirment que la compatibilité existe
bien entre islam et laïcité dans la stricte mesure où « les droits en laïcité
ne s'opposent point aux droits de Dieu ». Nous sommes encore et toujours dans
le cercle hermétique de la réflexion-réflexe islamique. D'aucuns objecteraient
que textes et sources évoquées ici sont le choix des islamistes, c'est à dire
ceux de la doctrine extrême de l'islam. En fait, islamistes et Musulmans
ordinaires ont le même appareil de référence. Les textes sont uniques comme
Allah est unique pour tous les croyants, quelle que soit l'intensité de la
praxis de chacun: Musulman sociologique, Musulman libéral, islamiste modéré,
islamiste violent, etc. Les événements dans le monde arabe et islamique et dans
le reste de la planète confirment ce qu'enseignent les textes et l'histoire de
l'islam. La réalité les a même dépassés au-delà de l'imaginable avec Daesh,
l'ultime épreuve tragique infligée aux hommes et plus particulièrement aux
Chrétiens en terre d'islam. Intéressé mais
moralement naufragé, l'Occident laïque s'est pris d'engouement pour les
"islamistes modérés". L'adjectif est devenu une épithète de nature.
Par naïveté peut-être, par veulerie sûrement, l'Occident, qui avait été jugé
avec mépris par l'islam, lui a donné raison. Quant à espérer voir émerger un
islam libéral, à la manière du judaïsme libéral qui vit à côté du judaïsme
orthodoxe, force est de rappeler que celui-ci ne met pas à mort le
premier.
Certains pensent que l'islam n'est pas
davantage un bloc monolithique que ne l'avait été avant lui la plupart des
systèmes politico-idéologiques, tel le communisme. En fait, en tant que
mouvement il peut connaître des évolutions ou des polarisations qui pourraient
modifier ses logiciels doctrinaux, mais rien au monde ne pourrait changer
l'esprit de l'islam et de son enfant naturel, l'islamisme, tant qu'ils sont
otages du même divin.
Sans détour, l'ISESCO (Organisation
Islamique pour l'Education, les Sciences et la Culture) a émis, en 2000, un document dans lequel les Etats islamiques
exposent les moyens du dispositif qu'ils activeront pour installer une
civilisation de "substitution" à la place de l'occidentale. Le
document détaille les outils à employer par les Musulmans: la taqiya
(dissimulation légale), que le croyant est autorisé à pratiquer lorsqu'il
s'agit de « protéger sa personne, ses biens et l'islam »; de même est préconisé
un certain dialogue avec les occidentaux qui peut s'avérer utile aux
différentes façons de s'introduire dans les failles de nos sociétés fragilisées
par leur tolérance. Le but explicite, in fine, est d'imposer la loi
chariatique. Ce document est de la même veine que la Déclaration des droits
de l'homme en Islam, de 1979, laquelle proposait des droits spécifiques vus
à travers le prisme chariatique, et se terminait par: « telle est la loi
islamique, parfaite en ses dispositions, efficace en ses injonctions et juste
en ses sanctions. Elle est parole d'Allah pour tout soumis (muslim) ».
Le Turc Erdogan a repris en 1996, ce
que l'Algérien Boumediène disait en 1974 à l'ONU: « nous vous conquerrons par vos
valeurs démocratiques et nous vous gouvernerons par nos valeurs
islamiques [...]. Les mosquées sont nos casernes, les coupoles de nos mosquées
nos casques, les minarets nos baïonnettes et les croyants nos soldats ». Ces
allégories, pour poétiques qu'elles soient, indiquent la conviction islamique
des croyants visant l'Occident.
Dans son livre Les banlieues de la
République, le politologue Gilles Kepel révèle les défaillances de l'Etat
français qui ont favorisé un islam rigoriste violent, lequel a pris le pouvoir
dans de gigantesques banlieues de villes françaises: « la faiblesse des
pouvoirs publics et la naïveté complice de l'Eglise font que le Tabligh
(mouvement prosélyte hyperactif) recrute encore des adeptes en dépit de la
concurrence farouche des salafistes soutenus par l'Arabie saoudite et le Qatar
». L'Université Libre de Bruxelles a organisé un colloque, le 13 novembre 2010,
intitulé: Une majorité musulmane à Bruxelles en 2030: comment nous préparer
à mieux vivre ensemble. Les actes de ce colloque ont été publiés et
diffusés sur Internet (www.lalibre.be/regions/bruxelles/une-majorité-musulmane-en-2030-51b8e36be4b0de6db9c500a3).
A la même époque, se basant sur une enquête de l'IFOP et sur le critère de la
pratique religieuse, le Gatestone Institute conclut que l'islam est déjà la
première religion en France (www.gatestoneinstitute.org/2355/france-islam-overtaking-catholicism).
Force est de constater que l'idéologie
dominante a fini par contaminer l'Eglise. Cette idéologie est serinée par les
média et des intellectuels spécieux, faite de nihilisme grimé en compassion
pour les "minorités" nécessairement damnées de la nation, de volonté
positive de confusion entre les normes et les marges, de déni des réalités et
de culture pharisienne du mépris pour tous ceux ne la suivent pas. Le
"vivre ensemble" a généralisé l'idée que les populations majoritaires
ne bénéficient d'aucun droit d'antériorité sur les nouveaux arrivants. Leurs
droits doivent s'effacer devant un droit universel à l'immigration. L'Eglise
catholique s'est insérée, au nom d'une charité chrétienne égarée, dans la
collusion des partis politiques occidentaux. Imperceptiblement, elle s'est
trouvée se mêler de politique, faisant fi de sa propre doctrine sociale, tout
en conservant la forme sémantique sans le fond. Des magistrats d'une justice
mal rendue, des hautes institutions d'un Etat, de nombreux intellectuels, ainsi
que la plupart des mass média ont ouvert les bras à un islamisme déchaîné, se
révélant un grand danger politique, social et sécuritaire. L'Eglise a occulté
les fondements de sa doctrine sociale pour s'occuper d'une nouvelle religion appelée
"droits de l'homme et humanitaire".
Des jeunes religieux impatients d'intégrer le courant à la page iront
jusqu'à dire: « le dialogue fait partie de l'identité de l'islam, à la fois
fondé sur le Coran et pensé par les grands théologiens musulmans ». En mars
2013, s'est tenu une journée d'étude à l'Université catholique de Lyon
consacrée à L'islam en France, dont plusieurs interventions consacrées
aux publications des Editions Tawhîd. Il s'agit d'une maison fondée par Tariq
Ramadan et sa famille dès son retour sur le territoire français en 1997, retour
réclamé au ministère et obtenu par deux prêtres catholiques: Christian Delorme
et Gilles Couvreur. Frère spirituel de Tariq Ramadan, Tariq Oubrou, imâm de la
grande mosquée de Bordeaux y exposa son projet pour le renouveau de la pensée
islamique "française". Le compte-rendu du colloque a été enthousiaste.
Or l'imâm Oubrou, proche de la mairie
de Bordeaux, avait réussi à empêcher la soutenance d'une thèse à l'Université
de Bordeaux III de l'un de mes doctorants au motif que le sujet (L'application
de la théorie des codes au texte coranique) était blasphématoire: on ne peut appliquer à la parole d'Allah ce qu'on
applique aux autres textes. L'imâm Oubrou donne des conférences dans toute la
France et a ouvertement prêché que « le califat est une obligation; tant que
les Musulmans ne sont pas réunis autour du califat, ils sont des pêcheurs » (http:islamineurope
un blog.fr, 2011/02/11). Quant à Tariq Ramadan, il a pu, en 1997, donner
son cours public durant un an à l'Institut Catholique de Toulouse, dans une
salle comble, et la police aux portes pour filtrer la sortie des croyants et
des croyantes galvanisés.
Dans un article du Point du 17
janvier 2007, Malek Chebel, anthropologue musulman vivant en France, déclarait:
« l'avenir est à l'islam; entre 2020 et 2050 l'islam sera la première religion
monothéiste », opposant le christianisme "religion compassionnelle" à
l'islam "religion virile" par définition.
En mars 2012, autorisé par le délégué
au dialogue islamo-chrétien de l'archevêché de Toulouse, un imâm de la mosquée
du Mirail demande et obtient de "présenter l'islam" à des clarisses
cloîtrées, lesquelles refuseront par la suite d'entendre autre chose, confiante
qu'elles sont en leurs supérieurs hiérarchiques. Périodiquement, des groupes
soufis s'installent au monastère bénédictin d'En Calcat pour chanter leurs
hymnes (dhikr) avec ceux qui le veulent parmi les moines (cf Magazine
du Doyenné des Crètes, mars 2012). Lors du forum chrétien-musulman à Rome,
la délégation islamique comptait sept convertis à l'islam sur vingt membres,
tandis que la délégation chrétienne écartait soigneusement un Magdi Allam dont
le baptême avait été dénoncé violemment par des Musulmans et valu au Pape
Benoît XVI une campagne de presse de critiques acerbes islamo-chrétiennes organisée
par des prêtres catholiques.
Le 9 septembre 2014, un communiqué
conjoint du SRI (Service épiscopal des Relations avec l'Islam) et de l'Œuvre
d'Orient, intitulé « refusons l'instrumentalisation de la tragédie en Irak » (www;saphirnews.com/refusons-l-instrumentalisation-de-la-tragédie-en-irak),
révèle que le souci majeur de ces professionnels du dialogue n'est pas de
sauver les Chrétiens, mais de sauver le dialogue. Il conclut par un véritable chantage: « cette situation
tragique ne peut être instrumentalisée pour nuire en aucune manière au dialogue
islamo-chrétien. Ce dernier est plus nécessaire que jamais. Les Chrétiens
n'auraient pas d'avenir en Orient sans ce dialogue ». C'est vouloir ignorer les déclarations du
cardinal Sfeir, de Mgr Sako, du P. Boulad et de bien d'autres qui montrent
l'inanité de ce dialogue en Occident et sa stérilité pour les Chrétiens
d'Orient chez eux.
Le terme dialogue signifie échange,
sinon tout à fait à égalité du moins dans le respect de chacun pour la parole
de l'autre, sans préemption, présupposé ou prédétermination. Etourdis par le
dialogue unilatéral, il arrive que des hommes d'Eglise se trompent en voulant
juste plaire à cet impétueux courant. Ainsi, le cardinal Barbarin raconte-t-il:
« jeune séminariste, un vieux prêtre m'a dit: apprend la shahâda par
cœur. Peut-être un jour seras-tu au chevet d'un Musulman en train de
mourir. Si tu veux l'aider, mets-le en
face de Dieu en lui rappelant les mots de son enfance qui tourneront son cœur
vers Dieu. Et je l'ai fait avec grande joie » (conférence à la cathédrale Saint
Louis de Versailles le 4 janvier 2011). Par principe, « prononcer la shahâda
devant témoins et avec conviction » suffit, au regard de l'islam légaliste,
pour être reconnu comme musulman. Naguère on enseignait que le devoir de tout
Chrétien est d'offrir l'annonce évangélique à toute âme durant sa vie et
jusqu'à l'ultime instant de celle-ci. L'imâm de la grande mosquée de Lyon Kâmel
Kabtane condamne en des mots diplomatiques les massacres massifs des Chrétiens
d'Irak six mois après les faits tout en se prévalant de son amitié avec
le cardinal qu'il invite en Algérie.
Le cardinal Tauran, quant à lui, déclare: « de toutes façons, il n'y a pas
d'alternative: soit nous choisissons le dialogue, soit c'est la guerre » (la.croix.com,
le 5-01-2015). On ne peut exprimer plus clairement la résignation de l'Eglise
face au chantage et aux menaces de l'islam politique.
L'affaire de Benoît XVI à Ratisbonne,
où des prêtres organisent des campagnes dans la presse pour s'indigner avec des
Musulmans de l'offense faite à Muhammad et à l'islam, et qui nuit au dialogue
islamo-chrétien, se passe de commentaire. Enfin, sur son site, le 11 janvier
2019, le diocèse de Saint-Denis, près de Paris, publie un message vitupérant un
groupe appelé Jésus le Messie, qui annonce le Christ dans des forums
itinérants en France: « ce groupe n'a aucune légitimité. Il rassemble des
personnes organisées en lobby islamophobe ». Le message dénonce l'idéologie de
ce « forum qui prêche le rejet de l'autre [... et prône le] refus de dialoguer
avec les Musulmans en dehors d'une volonté affichée de les convertir au
christianisme ». Finalement, il invite les Chrétiens à
ne pas se laisser abuser par les « prophètes de malheur ». Désormais, aux yeux des adeptes du
dialogue, annoncer l'Evangile est un délit, évangéliser est un crime.
Peu
avant la prise de Jérusalem par les armées islamiques en 634, l'évêque
Sophronios, affligé, a dit: « les Agarènes sans Dieu ont conquis la Bethléem
sacrée. Dorénavant, les Chrétiens doivent rester à l'intérieur de la ville.
Nous devons maintenant tenir compte du glaive barbare et sauvage des Sarracènes
qui a été tiré avec une cruauté réellement diabolique ». Lorsque l'islam apparaît au début
du VIIe siècle, plus de 90% des habitants du Moyen Orient dans
l'Empire byzantin sont chrétiens. Au
début du XXe siècle, leur nombre atteint moins de 25%. Aujourd'hui,
il est inférieur à 5%, tandis que les Musulmans dépassent les 90%.
Dans
ces temps difficiles, l'analyse de saint Thomas s'avère prophétique: les trois
religions monothéistes ont, certes, en commun la foi en un Dieu Un et Révélant,
par opposition aux religions asiatiques et à l'animisme; mais il fait une double
distinction qui nous étonne par son actualité: pour ce qui est de l'opposition
à la foi chrétienne connue, alors les Musulmans sont plus éloignés du
christianisme que les Bouddhistes et les animistes; pour ce qui est de la
corruption des valeurs de la foi, alors les Musulmans, après les hérétiques et
les Juifs, sont avant les autres païens.
On
peut penser, à la limite qu'une crise d'athéisme s'avèrerait nécessaire. En
effet, on sait que l'athéisme chez les Musulmans est le fait de ceux qui n'ont
pas renoncé à leur esprit critique. Contrairement aux athées occidentaux, les
athées ex-musulmans ne sont ni dogmatiques ni affligés d'un complexe "de
supériorité intellectuelle".
- En guise d'épilogue.
« Chassez le christianisme et vous
aurez l'islam »
prédisait Chateaubriand. Le pacte entre les défenseurs des droits de l'homme et
les Musulmans en Europe est fondé sur la visée d'une cible commune: le
christianisme. Ce pacte est paradoxal et contre nature à cause de la répugnance
de l'islam envers les droits de l'homme et la laïcité, tous deux antinomiques à
ses enseignements doctrinaux, et du fait que l'islam ne connaît que la défense
des droits de Dieu, lesquels sont largement enjambés par l'homme occidental.
Ces deux partis, obnubilés par le rejet du christianisme, voudraient réserver à
l'Europe le même sort qu'à l'Orient chrétien: une islamisation, avec ou sans
armes mais inéluctable, exploitant les accélérations de l'histoire ou des temps
d'accalmie ponctuels trompeurs. Sauf de rares exceptions, montrées du doigt de
l'opprobre, l'Eglise ne défend plus le christianisme. Lorsqu'elle s'exprime, son
discours est empêtré dans le politiquement correct du monde.
La
conférence épiscopale française s'est montrée très diplomate par temps
d'attentats islamiques contre des églises et leurs fidèles, de peur de
"l'effet surenchère". Les renoncements, les atermoiements et les
contorsions langagières de l'Eglise n'ont point désamorcé la résolution des islamistes;
au contraire, ils voient dans cette posture les preuves de l'anémie chrétienne
en Occident. Tariq Ramadan peut asséner à l'envi que le temps du
judéo-christianisme est passé, c'est le temps de l'islam qui arrive.
Certes
le christianisme prône le pardon mais pas au prix de sa propre extinction.
Marie-Thérèse URVOY
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