Préambule :
Le présent article est à lire en parallèle avec l'article " De l'islam politique ", traitant des divers mouvements dans l'islam. L'expression "le musulman" désigne ici l'archétype du musulman, tel que serait une personne se conformant à la loi islamique. Un aperçu de la variété des attitudes des personnes musulmanes réelles dans différents continents notamment, est donné dans l'article " de l'islam politique" ainsi qu'à la fin du présent article.
Dieu,
l'homme et la violence selon l'islam
Marie-Thérèse URVOY
De quel dieu, de quel homme et de
quelle violence parlons-nous lorsqu'il s'agit de l'islam? La croyance islamique
s'identifie à la proclamation de l'unicité de Dieu: Allah l'unique, sans associé
(wahda-hu lâ sharika lahu). C'est le tawhîd, l'autre nom de
l'islam. Il est proclamé sans relâche dans la profession de foi (shahâda)
en binôme indissociable de l'attestation de la prophétie de Muhammad Son
envoyé. Le moindre soupçon d'atteinte à cette unicité est déclaré polythéisme,
idolâtrie ou associationisme (shirk). Il provoque le courroux du croyant
(lequel est le seul musulman, les autres étant marqués Gens du Livre ou païens)
et appelle le châtiment annoncé par Allah dans le Coran, relayé par Son
prophète. La transcendance de Dieu est au centre du dogme islamique. Tout ce
qui peut paraître la léser est à éliminer urgemment, avec la dernière sévérité.
Poussée à ces extrêmes, cette
conception fait que l'islam orthodoxe exclut toute connaissance de Dieu et de
communion intime avec Lui. Il n'y a pas d'amitié, au sens étymologique du mot,
entre l'homme et Dieu, entre Créateur et créature. Une distance ineffable
sépare le divin de l'humain. Le croyant doit se soumettre à Allah, vivre dans
une dépendance totale de Sa volonté, et dans une soumission aliénante à son
Créateur.
Les fondamentaux que sont Coran,
hadîths et leurs commentaires modèlent le mental du croyant et conditionnent
ses réflexes. Cette emprise extraordinaire du Coran est une révélation où Dieu
n'attend point d'amour de sa créature, mais où celle-ci doit à son Créateur la
foi en son caractère d'Unique, sans associé ni égal. Allah est un seigneur
jaloux de sa volonté et souverain absolu de son œuvre. Le reconnaître est un devoir pour toute
créature et une absolue nécessité pour
le salut, lequel est dû à la foi seule (1)
L'islam enseigne une certaine
continuité de la révélation: Allah a créé les hommes pour qu'ils L'adorent et Il
leur enseigne comment et avec quels termes ils doivent le prier et s'adresser à
Lui; aussi s'est-Il adressé continûment aux hommes pour leur indiquer la
dépendance où ils doivent être à son égard (2) : "Allah sauve qui Il veut
et égare qui Il veut" (XVIII, 17); "Il élève et humilie qui Il
veut" (III, 26); "Il fait miséricorde à qui Il veut et punit qui Il
veut" (VII, 155). On doit donc le craindre (V, 44), car "Il tourmente
qui Il veut" (III, 129). Le Coran insiste sur le droit impérieux d'Allah d'exiger
de professer la foi en Son unicité et en la prophétie de Son envoyé, sous peine de damnation éternelle. Ce Dieu impersonnel
exige l'obéissance à Ses lois et menace la désobéissance de châtiments infernaux,
tout en rappelant que Sa miséricorde peut les supprimer à son gré.
Pour transmettre son message, Allah a
choisi Muhammad (al-mustafâ), ultime prophète pour une ultime révélation
voulue par Lui pour l'humanité. Il est Son envoyé (rasûl), d'abord aux
Arabes qui vivaient dans l'idolâtrie, alors que leur terre connut Abraham qui
édifia la Kaaba à la Mecque, devenue après lui lieu d'impiété et d'idolâtrie.
Le Coran enseigne que les Arabes "à l'âme religieuse" ne pouvaient
reconnaître la vraie religion (al-dîn al-qayyim) dans un judaïsme
atrophié et prosaïque, ni dans un christianisme divisé en sectes et hérésies,
tout en leur paraissant chargé de mystères surnaturels. Juifs et chrétiens sont
même accusés de falsification de leurs Ecritures respectives.
Muhammad prêcha ce rappel d'Allah
unique et de Son jugement, d'abord à la Mecque, où il se présenta en tant que
successeur des grands prophètes antérieurs et le sceau de la prophétie. Il
revendiqua l'héritage biblique et évangélique depuis Adam jusqu'à 'Îsâ (le nom
de Jésus dans le Coran). Il affirma restaurer le message biblique dans toute
son intégrité en abolissant toutes les altérations commises volontairement par
les descendants corrompus des disciples de Moïse et de 'Îsâ. Enfin, à Médine,
il annexa Abraham comme ancêtre généalogique, affirmant: "il n'était ni
juif ni chrétien" (III, 67) mais hanîf (monothéiste naturel) (II,
128-135; VI, 79; etc); il fut le fondateur, avec son fils Ismaël, de la Kaaba
(II, 127). Muhammad présenta l'islam comme insufflant à l'éternelle et immuable
religion la pureté resplendissante qu'elle devait avoir au temps abrahamique.
La voie était ainsi ouverte à la
définition d'une nouvelle communauté composée d'hommes croyants et soumis (mu'minûn,
muslimûn). Depuis lors, les musulmans considèrent leur prophète et ceux
qui le suivent comme les véritables disciples de Moïse et de 'Îsâ, tandis que les
juifs et les chrétiens de tous les temps n'ont plus aucun droit à se réclamer
de leurs prophètes et de leurs révélations respectives, car ils y ont été
infidèles en en falsifiant l'Ecriture. L'impact concret de cet événement
aboutit à une communauté viscéralement attachée à un livre, le Coran, dicté à
un envoyé d'Allah, Muhammad. Le Coran est supérieur aux précédentes Ecritures;
il les achève et les rectifie. Quant aux croyants, ils sont persuadés qu'il n'y
a point de salut pour l'homme hors de l'islam.
Leur prophète, Muhammad, est le
sceau de la prophétie (XXXIX, 40) et le beau modèle (XXXIII, 21) à imiter. De
fait, toute la prophétologie islamique sera conçue en fonction d'un Muhammad-le
prophète, et d'un Coran-l'événement. Le culte muhammadien atteint son paroxisme
lorsqu'il fait de lui "le but de la création", médiateur universel de
l'œuvre de Dieu.
L'islam lui applique sans ambages ce que dit Saint Paul du Christ: "premier
né de toute créature ..., il est le principe ..., il fallait qu'il obtint en tout
la primauté" (Col. 1, 15, 18). Cela s'illustre bien dans les chant de
louange du prophète (madâ'ih nabawiyya): la formule law lâka
(n'était toi) est chantée comme antienne dans l'exaltation de Muhammad lors des
cérémonies comme le mawlid (naissance de M.): "n'était toi, Allah
n'aurait pas créé ..., Allah n'aurait pas multiplié Ses faveurs ...". Son
nom, ainsi que les appellations s'y rapportant sont systématiquement
accompagnés d'une eulogie qui lui est exclusivement réservée (tasliya):
"qu'Allah déverse sur lui la bénédiction et le salut". Ce culte anime
la vie des musulmans et la doctrine de l'imitation de Muhammad s'est
progressivement imposée après sa mort, d'autant plus facilement que, de son
vivant, la mise à mort des opposants qui le critiquaient n'épargna ni femme
nourrice, ni poète, ni captif, comme le rapporte la Sîra (biographie du
prophète), les Maghâzî (chroniques des premiers combats) et
certains hadîths. L'histoire islamique est marquée par ces textes. Les
musulmans d'hier et d'aujourd'hui désignent toujours Muhammad avec des formules
qui lui sont strictement réservées: "seigneur des créatures" (sayyid
al-khalâ'iq), "seigneur des envoyés" (sayyid al-mursalîn),
"seigneur des Arabes et des non arabes" (sayyid al-'arab
wa-l-'ajam), "seigneur du genre humain" (sayyid al-bashar),
etc.
Ces formules et ces pratiques
illustrent non seulement la conception islamique du culte muhammadien, mais ont
un impact immense sur le mental du musulman, l'insensibilisant à tout recul
pour un esprit critique ou historique. Pour le musulman, la vraie révélation
est celle portée par Muhammad, l'envoyé d'Allah. Toute sa vie il le proclame
dans la shahâda où Allah et Muhammad sont énoncés en binôme égal. On
n'est pas musulman en en omettant un élément.
Le Coran fait le lien entre
musulmans et constitue l'unité de leur communauté. Il est leur bréviaire de
méditation, leurs tablettes de la loi, leurs règles de prière. C'est lui qui,
lentement, forme leur mentalité. Il est la source où ils s'abreuvent jusqu'à la
mort, l'islam étant sans sacerdoce, ni magistère, ni hiérarchie ecclésiale.
L'islam est un simple juridisme vécu plus ou moins strictement par tout
musulman, du moins pratiquant au plus mystique (3).
Dès lors, l'homme croyant en islam
vivra dans les liens essentiels et évidents qui unissent les membres d'une même
foi. Le lien clanique ou tribal primitif est remplacé par cette foi première
caractéristique de la nouvelle religion. Plus qu'une tribu ou clan, c'est une
communauté (umma). Le Coran rappelle que "les musulmans sont durs
envers leurs ennemis, miséricordieux entre eux" (XLVIII, 29). Ce
qu'al-Fudayl b. 'Ayâd, célèbre traditionniste, rend par: "le plus solide
des liens de l'islam c'est l'amour en Dieu et la haine en Dieu". Les
musulmans sont frères en islam et non frères de tous en l'humanité, laquelle
doit être appelée à lui. Une des plus anciennes citations de Muhammad est:
"j'ai reçu l'ordre de combattre les hommes jusqu'à ce qu'ils disent 'Point
de divinité excepté Allah'. Celui qui dit 'Point de divinité excepté Allah'
préserve de mon atteinte ses biens et sa personne". Ici il faut souligner
qu'au sujet des fidèles de Muhammad nous trouvons dans le Coran l'usage du sens
premier de âmana, qui est "se fier les uns aux autres". Aussi
y est-il dit que le prophète "se fie aux croyants" (yu'minu
li-l-mu'minîn) alors qu'il ne se fiera point "à ceux qui restent en
arrière et trouvent des prétextes pour ne pas engager leurs biens et leurs
personnes dans le combat sur le chemin d'Allah" (LIX, 61 et 94).
Plus que des "croyants"
(sens ultérieur de la racine a-m-n) les musulmans sont des affidés qui
forment la umma unique, à l'exclusion des autres hommes. Ceci dès la
charte établie par Muhammad à Médine, qui fixe les frontières. De nature
politique et d'origine divine, elle a pour ciment l'adhésion au prophète
d'Allah. Elle se définit et se distingue par le fait qu'elle est exclusive de
tous ceux qui n'y ont pas adhéré. La finalité de cette organisation est de
garantir l'efficacité de l'effort de guerre commun. Celui-ci est exprimé au
tout début de la charte par le terme jihâd. Plus loin il sera précisé
par l'expression "le combat sur le chemin d'Allah". Une
réglementation stricte fait qu'un affidé peut échapper à une sanction, même
s'il est coupable, si la victime est étrangère au groupe (umma).
La vie islamique repose sur deux
piliers: le Coran incréé d'une part, et l'enseignement de Muhammad (hadîth) de
l'autre. Dès le commencement, la révélation coranique infusa une théocratie
portée par une théologie légaliste, d'une casuistique spécifique. Ainsi, pour
l'islam orthodoxe, la nature de l'être ne compte pas, mais seule sa fonction le
place dans un statut juridique (hukm).
De ce fait, par exemple, lorsqu'une classification hiérarchique des
êtres est donnée dans un traité de kalâm (théologie islamique), Muhammad, et
après lui les prophètes, sont supérieurs aux anges. L'islam légaliste n'ayant
pas de hiérarchie sacrée, ne connaît pas les sacrements et le sacrifice n'entre
pas dans le culte comme élément constitutif. Le seul "sacrifice" que
l'islam reconnaît est celui de la guerre sainte (jihâd). Le croyant est
exhorté à mourir dans le chemin d'Allah. Le Coran lui explique que c'est mourir
en combattant pour la prévalence de l'islam et pour soumettre le monde à
l'autorité de ceux qui lui sont fidèles. Il en résulte une rare conception de
la miséricorde d'Allah: "Allah ne pardonne pas qu'on Lui associe d'autres
divinités; Il pardonne tout le reste à qui Il veut" (IV, 48). Ce qui
signifie que le seul péché irrémissible est l'associationisme (shirk) (4),
c'est à dire ne pas reconnaître l'unicité de Dieu telle que l'islam la proclame,
proclamation confirmée par Allah: "Aujourd'hui J'ai
parachevé pour vous votre religion et accompli sur vous Mon bienfait. Et
J'agrée l'islam comme religion pour vous" (V, 3). En cas de besoin, sont prévus des accommodements
pour le croyant avec la loi, telle la dissimulation légale (taqîya)
autorisée lorsqu'elle doit protéger l'homme musulman et la foi islamique.
Se dégage alors le point fondamental
de l'islam: celui d'un monothéisme inaltéré qui se distingue de tout
autre. Ce qui lui est contraire est à combattre. Par ailleurs, pour l'homme croyant, la foi
suffit. Elle l'installe dans un dispositif fait de binômes:
commandement-obéissance, rétribution-châtiment. Ces mécanismes appliqués dès
l'enfance lui paraissent simples: il est récompensé s'il obéit, il est châtié
s'il désobéit. Seul le fait de croire ou
ne pas croire en l'unicité d'Allah et dans le message de son envoyé Muhammad,
le conduit en paradis ou en enfer.
Sa vie se déroule dans un monde
divisé en deux: domaine de l'islam (dâr al-islâm) et domaine de la
guerre (dâr al-harb). C'est une
société d'un monde où les hommes ne sont pas égaux: il y a les croyants et les
infidèles, les hommes et les femmes, les hommes libres et les esclaves, etc. Les
traités de fiqh s'attachent à fixer les règles qui régissent les
rapports entre catégories. Les membres de la communauté les respectent et les
observent, mais avec précautions lorsqu'ils sont hors du territoire de l'islam
(5). Cette distinction participe à la nature de l'islam et commande la nature
de l'âme islamique.
Dans des hadîths abondamment cités
par l'apologétique islamique on rapporte que Muhammad a dit que la "grande
guerre sainte est celle que l'on mène contre le mal qui est dans le cœur du croyant et que
l'autre guerre, celle qui veut porter la domination de l'islam en pays
d'infidèles, est la petite guerre". Mais l'histoire de l'islam, de sa
formation et de son évolution, n'offre aucune concordance avec cette assertion.
Bien plus elle révèle l'islam d'une vie peu intérieure et souvent déviée. Dans
la doctrine officielle, nonobstant ce hadîth, la vraie guerre sainte demeure
celle menée contre les non musulmans. Comme le détaille al-Mâwardî (m. 1058),
dans son traité de droit public Les statuts gouvernementaux et les
commandements religieux: "Le commandement du jihâd d'un
gouverneur consiste en un combat contre les associateurs et ce de deux façons:
- soit en conduisant l'armée et en dirigeant la guerre [...], - soit en
déléguant au gouverneur l'exécution des statuts inhérents à la guerre, tels la
répartition du butin ou la signature de trêves. Ces statuts sont en six parties
qui correspondent à la plus importante part de la gouvenance". Dans le Muwatta',
le plus ancien traité de droit islamique (fiqh) de Mâlik ibn Anas (m.
795), se trouve un chapitre circonstancié à l' "exhortation au jihâd",
s'appuyant sur six hadîths "confirmés". Sa casuistique définit un
univers bien particulier comme le montre l'énumération suivante: il interdit de
pénétrer une terre ennemi avec le Coran, de peur qu'il ne tombe dans les mains
d'ennemis; il prescrit d'épargner les femmes qui peuvent engendrer des
musulmans et les enfants mâles qui seront islamisés; il réglemente le pillage
après la victoire; il autorise les musulmans à manger en se servant dans les
provisions de l'ennemi; il autorise la vente de ce qui en reste si on s'estime
nécessiteux; il indique comment laver les corps des martyrs morts au combat
avant de les ensevelir; il prescrit de rendre sa terre au dhimmî
(tributaire) qui s'acquittait de la capitation s'il passe à l'islam; il
autorise, par nécessité de la guerre, l'enterrement de deux ou trois hommes
dans la même tombe; etc.
La morale en islam étant fondamentalement
légaliste, le musulman, dans la praxis, applique fidèlement les enseignements
de ces écoles juridiques. Or les maîtres de celles-ci ont eu des opinions
variées concernant les relations entre les deux domaines de l'islam et de la
guerre. C'est al-Shâfi'î (m. 820, époque de l'apogée de la puissance
arabo-islamique) qui, le premier, exposa la doctrine selon laquelle le jihâd
devait être une guerre permanente contre les infidèles et non pas seulement
lorsque ceux-ci entrent en conflit avec l'islam. Il s'appuya sur le verset:
"Tuez les associateurs où que vous les trouviez, capturez-les,
assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent,
accomplissent la salat [prière rituelle] et acquittent la zakât
[aumône légale], alors laissez-leur la voie libre" (IX, 5).
Bien que la guerre offensive ne soit
pas obligatoire pour tous les musulmans, pris individuellement chaque croyant
demeure ordonné par l'enseignement qui lui est infusé dès l'enfance au
caractère belliqueux du monothéisme islamique qui se réalise en s'imposant à la
terre entière pour y faire reconnaître la précellence des droits d'Allah. C'est
précisément la croyance monothéiste intraitable qui fait le musulman. Son âme y
puise sa fierté, son esprit de conquête, son ardeur belliqueuse qu'il traduit
en devoir de guerre sainte, un devoir qui s'accomplit par la communauté, non
par l'individu. L'islam attaque toutes
les religions sur la question de l'unicité divine. S'il tolère les Gens du
Livre (juifs et chrétiens), c'est contre un impôt qu'ils doivent acquitter
"en étant humiliés" (IX, 29). Ils doivent vivre sous domination
islamique car ils sont inférieurs aux croyants de l'islam. Leur culte peut
s'exercer mais avec des restrictions. Ils doivent porter des signes extérieurs.
L'ensemble du dispositif juridique prévu pour les non croyants marque une
violence morale qui s'ajoute à celle physique.
Le Coran et le hadîth en sont la justification définitive. Dans leur for
intérieur, les musulmans sont persuadés qu'ils ont seuls le droit de parler
d'Allah comme Il veut qu'on s'adresse à Lui. Ils sont les seuls qui
maintiennent inaltérée Sa transcendance.
Il les a choisis pour se révéler par l'intermédiaire de Son élu (al-mustafâ).
Aussi tout musulman se sent-il un privilégié et un protégé d'Allah. Il est le
défenseur de Sa législation morale et cultuelle; en plus du code social et
légal il possède la clé de la compréhension des choses et les moyens des
jugements qu'il porte sur toute l'histoire des hommes. Aussi le croyant musulman
se sent-il élu avec pour vocation d'être témoin, combattant jusqu'au martyre.
En termes politiques, l'univers
étant partagé en deux parties, l'une doit être sous l'autorité des musulmans et
l'autre doit leur revenir par conquête. Allah ne cesse de leur promettre une
victoire éclatante (fath mubîn), car l'Islam ne se reconnaît d'autre
limite que celle du globe terrestre, expression courante que j'ai entendue proclamer
avec délectation par le cheikh Kaftarô à Damas. L'apologétique islamique
exprime cette attitude envers les autres religions de façon irrévocable:
christianisme et judaïsme sont reconnus pour leur origine divine venue d'une
matrice céleste de révélation. Ils viennent d'Allah sûrement, mais ils sont
repris, abrogés, corrigés et dépassés par l'islam, tant ils ont été falsifiés
par leurs adeptes. Aussi se convertir au christianisme ou au judaïsme est-il
une régression vers une religion qui a été altérée et trahie. C'est apostasier.
Ceci appelle le châtiment prévu par la loi d'Allah.
Qu'un musulman cesse de croire en
Allah, il est toléré à condition de ne rien laisser paraître en public. Mais
quitter l'islam pour une religion qui lui est inférieure, cela est
inadmissible. Un musulman peut ignorer des éléments essentiels de sa religion,
ne pas observer ses prescriptions, il aura toujours la certitude de son droit.
Un musulman, du moins instruit ou analphabète à l'ingénieur ou sociologue
instruit, laissera toujours paraître une assurance troublante, une indicible
fierté d'être muslim et d'appartenir à la umma de Muhammad. Un complexe de supériorité l'isole de
l'extérieur non islamique pour le river à l'intérieur d'une communauté,
"la meilleure qui ait été produite pour les hommes" (III, 110). Les
croyants musulmans sont le critère et arbitre du bien et du mal. Allah leur a
confié cette mission: "vous ordonnez le Bien, interdisez le Mal, et vous
croyez en Allah" (ibidem). L'âpreté de l'affirmation de l'unicité
divine a donné au musulman un non moins âpre sentiment de l'unité qu'il forme
avec ses frères dans la même foi. Sa
réaction est toujours violente contre tout ce qui semble atteindre cette
doctrine ou nuire aux autres croyants, frères en islam. L'islam des textes et
l'islam du prophète font que de races différentes et de niveaux culturels
inégaux les musulmans ont une même structure mentale et morale. En raison de
leur repli intransigeant sur leurs affirmations dogmatiques, ils vivent
derrière une ligne de démarcation d'avec l'autre.
L'homme musulman est tenu d'être en
liaison intime avec la communauté; celle-ci est chargée par Allah du devoir
collectif de faire dominer Sa parole et de l'imposer à l'interne comme à
l'externe. Un musulman pris en charge par le Coran et la umma ne sent
plus le besoin de quelque liberté, ou plutôt il est conditionné pour le confort
d'être libre de choisir "Allah et le prophète et leurs
commandements". Dès le début de l'islam, si le chef ordonne une
expédition, la communauté doit se lever comme un seul homme. Le Coran tance
ceux qui restent chez eux (IV, 95-96). Ceci peut expliquer qu'aujourd'hui,
devant les violences infligées à des non croyants, les musulmans ne prononcent
jamais de condamnation collective et publique. Au mieux, des musulmans vivant
en Occident, diront quelques paroles de circonstance pour rassurer des
infidèles inquiets. Le 11 septembre 2001 donna lieu à des manifestations de
foules en liesse en pays islamiques. En regard, on peut méditer les
manifestations de haine et les menaces pour des juges musulmans qui ont
acquitté une chrétienne en prison depuis huit ans pour avoir voulu boire dans
un puits réservé aux musulmans. Elle l'avait souillé car tout mécréant est
impur.
Certes, tous les musulmans ne sont
pas violents, mais il se trouve que, actuellement, la plupart des terroristes
sont musulmans. Apparaissent plusieurs questions: quelques versets violents ne
font pas le Coran, mais que font alors les musulmans de ces versets? Ou encore,
comment une (ou des) minorité(s) islamique(s) violente(s) peuvent terroriser
une masse de population islamique modérée mais presque passive? La résistance
demeure le fait d'individus qui deviennent des personnes menacées à vie. Qu'un
Boualem Sansal soit en vie relève du miracle!
Paradoxalement, le terme
"violence" et ses dérivés n'existent pas dans le Coran. Seules les
manifestations de la violence sont évoquées dans les traités de droit
islamique, en particulier dans cinq cas: le châtiment des crimes, le meurtre,
l'oppression et la corruption, et enfin l'agression. Cependant demeure la
violence "légale" représentée, aux yeux des légistes, d'une part par
l'application des peines coraniques, de l'autre par le jihâd. Il s'agit du combat spécifique contre non
seulement les infidèles mais aussi contre les renégats, les révoltés et les
bandits de grands chemins. La théorisation de la violence légitime est une
parfaite illustration de la conception islamique de l'univers et de la vie
fondée sur le lien ontologique et intime entre la religion et le pouvoir.
Dans Lisân al-'arab,
référence majeure de la langue arabe, le terme "tolérance" (tasâmuh)
- très employé de nos jours en binôme avec "paix", en tant que
contraire de "violence" - plusieurs sens sont listés en référence à
la littérature et au hadîth mais sans la moindre portée morale qui rappellerait
le sens que donnent les musulmans à ce mot de nos jours. Cela culmine dans la
citation d'un hadîth célèbre: "al-samâh rabâh c'est à dire 'être accommodant dans les
affaires', fait gagner et rapporte à son auteur".
Un sage qui vécut quarante ans en
terre d'islam faisait deux remarques: - l'islam anesthésie le croyant musulman;
- un musulman ne dit jamais toute la vérité. Force est de constater que le
musulman fait le plus souvent fi du souci de la vérité documentaire ou
rationnelle, remplacée par "Dieu l'a dit", où toute parole s'arrête.
Bien plus, l'ensemble du dispositif scripturaire, conception, agencement et
action psychologique, favorise cette sidération. L'islam étant une religion de
la masse et d'une collectivité, le musulman qui rompt avec elle sera toujours
seul. S'affranchir du groupe est immuablement le fait d'individus.
Certes la violence n'est pas
l'essence de l'islam mais elle a été un ressort existant en lui dès ses
origines, apprêtée par la parole divine dans le Coran et appliquée dans
l'obsession dogmatique de l'imitation du prophète. Alors qu'on traînait dans
les rues de Bagdad les dépouilles des vaincus lors d'un putsch, un ami musulman
m'a dit: "ils ne font pas plus que le prophète en son temps avec ses
ennemis, et cela explique le goût des musulmans pour l'arme blanche et le sang:
égorger n'est pas tuer, c'est sacrifier".
Notes :
(1)
Le péché originel n'existe pas en islam.
(2)
Cette continuité n'est donc pas à confondre ni à comparer avec la
conception chrétienne qui devait aboutir au novissime locutus in Filio (ce
qui a été dit ultimement dans le Fils), centré sur le Christ annoncé, venu et
continué.
(3)
Ici il convient d'évoquer
cursivement le cas du soufisme, présenté comme l'antidote de l'islamisme, alors
que les deux sont les enfants naturels et légitimes de l'islam. Dans le
soufisme, présenté comme le visage spirituel et tolérant de l'islam, la
séduction vient de ce que chacun croit pouvoir se tailler un islam à sa mesure,
à usage strictement personnel, mais sans rupture d'avec la communauté. Aussi, la
majeure partie des conversions se font-elles par ce canal. Mais il ne s'agit,
de fait, que très rarement d'autre chose que de superposer une structure
mentale à l'islam orthodoxe en tant que praxis et croyance. C'est ainsi qu'Eric
Geoffroy, converti à l'islam et adepte soufi, regrette que certains groupes
fassent du soufisme "une sorte de sagesse universelle, supra-confessionnelle,
aseptisée hors de toute tradition ou de religion, un enième produit de
consommation pour occidentaux". Il affirme qu' "il n'y a pas de tarîqa
[voie soufie] sans charî'a, ni de charî'a sans tarîqa, et
qu'on ne peut suivre une voie spirituelle sans prendre appui sur une tradition
religieuse orthodoxe" (Entretien à Libération, 2 juin 2004). On ne
peut être plus clair. Hallâj, le grand soufi du Xe siècle, fut
exécuté lorsqu'il voulut sortir du cadre charî'atique en prônant l'absorption
de l'individu dans l'Un, sans intermédiaire coranique.
(4)
Le sens du péché en islam
est la transgression de Sa loi, et non offense faite à Dieu dans Son amour pour
Ses enfants comme dans le christianisme.
On est dans l'essence même de la relation de l'homme à Dieu: pour le
chrétien il est l'enfant de Dieu le Père; en islam il est le croyant soumis à
son Créateur transcendant et inaccessible. Cette relation du croyant à Dieu lui
fait percevoir la foi, l'espérance et la charité des chrétiens comme des
niaiseries, lesquelles n'en sont pas moins exploitées, non sans condescendance,
dans le dialogue islamo-chrétien lorsqu'il est hors du territoire de l'islam. Mais appeler Dieu "père", dire
"Jésus est fils de Dieu", nommer Marie "Mère de Dieu", sont
perçus comme blasphèmes suscitant indignation et horreur.
(5)
Il y a une dizaine
d'années, exceptionnellement pour imiter les très médiatisés Restos du cœur, un bus islamique a
distribué des vivres dans certaines rues de Paris. L'initiative venait de
musulmans minoritaires en terre non
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