2. "Annonce de Mahomet" par Marie-Thérèse Urvoy
2.1. Présentation de l'article "Annonce de Mahomet"
Pour les musulmans les chrétiens ont falsifié les évangiles
qui, avant leur altération, auraient mentionné explicitement la venue de
Mahomet. L'évangile de Barnabé (un faux du XVIème siècle qui annoncerait
Mahomet) est considéré par les musulmans comme le seul évangile non falsifié
(cf. le site tablîgh "aimer-jesus.com"). Kadhafi, dans un discours
qui prophétise une Europe musulmane à court terme, s'en est fait le
thuriféraire, dans:
http://www.dailymotion.com/video/x3fca_2006-04-10-discours-de-gagadhafi_news.
Différents articles ont montré la fraude liée à l'évangile de Barnabé,
cf. par exemple http://facealislam.free.fr/barnabas.html et
http://facealislam.free.fr/barnabe-seigneurchrist.htm.
Sans lien avec l'évangile de Barnabé, l'article de
Marie-Thérèse Urvoy pour le "Dictionnaire du Coran" (Robert Laffont,
Collection Bouquins, septembre 2007), est scientifique. Il a pour base une
analyse rigoureuse, linguistique et historique des textes. Il montre comment
les arguments des musulmans résultent de confusions, et comment une
"relation entre le texte coranique et le texte évangélique s’est opérée
par une « captation » reposant sur deux formes de détournement
linguistique".
Marie-Thérèse Urvoy est professeur d'islamologie,
d'histoire médiévale de l'islam et de langue arabe à l'Université catholique de
Toulouse.
Cet article est reproduit en deux parties sur le site
"Studia-Arabica"
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article10&var_recherche=Annonce%20de%20Mahomet%20(a)
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article10&var_recherche=Annonce%20de%20Mahomet%20(a)http://www.studia-arabica.net/spip.php?article239
"Notre-Dame de Kabylie" le publie avec l'aimable
autorisation de l'auteur et de "Studia-Arabica"
[ Présentation rédigée par les auteurs du site Notre Dame
de Kabylie ]
-2.2. L'article "Annonce de Mahomet" par
Marie-Thérèse Urvoy
Deux passages du Coran évoquent cette annonce : « ceux qui
suivent l’apôtre, prophète des gentils, qu’ils trouvent annoncé chez eux dans
la Torah et l’Evangile » (7,157) ; « ô fils d’Israël [dit Îsâ] ! je suis
l’apôtre de Dieu [envoyé] vers vous, déclarant véridique ce qui, de la Torah,
est antérieur à moi et annonçant un apôtre qui viendra après moi, dont le nom
sera Ahmad » » (61, 6). « Ahmad » est une forme élative, adjectivale intensive,
qui signifie « le très glorieux » ou « le très loué ». Il dérive de la même
racine h. m. d. que « Mahomet », « le loué ». Aussi la traduction française de
Médine précise-t-elle : « Ahmad, en arabe, a presque la même signification que
Mahomet, c’est pourquoi les deux termes sont utilisés dans le Coran pour
désigner la même personne : le prophète de l’islam. » Un hadith fait dire au
Prophète : « Je m’appelle Mahomet sur terre, mais Ahmad dans le ciel. » Enfin,
le « poète du Prophète », Hassân b. Thâbit (54/674), composa une élégie où il
employa indifféremment les deux noms.
Aucune précision n’étant donnée sur les sources textuelles,
ce sont les croyants qui se sont efforcés de les trouver. Ainsi, au VIe/XIIe
siècle, dans la Sicile conquise par les Normands, Muhammad b. Zafar recense et
commente dans son livre, Khayr al-bishâra, les passages de la Bible et des
Evangiles qui lui apparaissent comme des annonces de Mahomet. Actuellement,
pour la Torah, l’apologétique propose l’extrait suivant : « Yahvé ton Dieu
suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi
que vous écouterez » (Dt 18, 15). En fait, il s’agit d’un passage du « Code
deutéronomique » qui succède au second « Discours de Moïse », commençant par «
Ecoute Israël » et donnant d’emblée le Décalogue, rappelé ensuite par le Chema’
Israel Dt 6, 4). Il est donc impossible autre chose que le peuple hébreux.
Pour l’Evangile, la question est un peu plus compliquée. Au
VIIIe/XIVe siècle, Anselm Turmeda, franciscain catalan converti à l’islam et
fixé en Tunisie, raconte, dans la partie autobiographique de son traité
polémique antichrétien, qu’un prêtre de Bologne lui a révélé que le Paraclet
annoncé dans l’Evangile est le prophète de l’islam, Mahomet, et que cette
révélation lui a ouvert le chemin de la conversion. Ce texte de Turmeda, Tuhfat
al-adîb (Le Présent de l’homme lettré pour réfuter les partisans de la Croix),
est de nos jours très diffusé, tant au Maghreb que parmi les musulmans
d’Europe. Il est en fait le prolongement d’un processus qui a commencé beaucoup
plus tôt. Le mot « Paraclet » est mentionné deux fois dans l’Evangile de Jean :
« et moi, je prierai le Père, et Il vous donnera un autre Paraclet, qui restera
à jamais avec vous : l’Esprit de vérité […] vous le connaissez, parce qu’il
demeure auprès de vous et qu’il est en vous » (Jn 14, 16-17) ; « il vous est
bon que je m’en aille. Car si je ne m’en allais pas, le Paraclet ne viendra pas
à vous ; mais si je m’en vais je vous l’enverrai » (Jn 16,7). L’interprétation
chrétienne est que « Paraclet » signifie « intercesseur », « avocat », celui
qui assiste et défend ses clients, aussi est-il l’esprit de vérité qui est la
demeure du Saint-Esprit dans le cœur des chrétiens par la grâce. Et le second
fragment signifie que la venue du Saint-Esprit est subordonnée au retour du
Fils à son Père.
L’établissement d’une relation entre le texte coranique et
le texte évangélique s’est opéré par une « captation » reposant sur deux formes
de détournement linguistique. La première a été faite par un converti du
christianisme, connaissant le syriaque mais sans doute assez mal l’arabe, et
dont l’interprétation a été reprise dans la Sîra nabawiyya d’Ibn Ishâq
(150/767) et Ibn Hishâm (218/833), au paragraphe consacré à la « description
[sifa] de l’Envoyé de Dieu par l’Evangile ». Le grec paraklètosétant rendu en
syriaque par mnahmânâ (lu munhamannâ le reste de la citation étant également
une adaptation très approximative du texte de Jean), Ibn Ishâq conclut : «
al-munhamannâ, en syriaque, c’est Mahomet, et dans la langue des grecs
albaraqlitis ».
Or le premier est de la racine sémitique n. h. m . («
consoler »), bien connue des fidèles à cause du célèbre passage d’Isaïe : «
consolez, consolez mon peuple dit votre Dieu » (Is 40,1). En passant au
syriaque, cette racine a pris le sens dérivé de relever, redresser, ce qui
explique qu’on ait utilisé un de ses composés pour traduire le grec paraklètos
(« avocat », « intercesseur » ). Avec la racine h. m. d. de Mahomet, elle n’a
de commun que deux lettres, et pas dans l’ordre. Aussi cet argument n’a-t-il
pas eu de succès au Moyen-Orient où a subsisté un nombre non négligeable de
chrétiens dont le syriaque était la langue liturgique, et qui étaient en mesure
de dénoncer la confusion.
A noter que seule la recension palestinienne des Evangiles
emploie le terme mnahmânâ, mais non la Pshitta (traduction syriaque de la
Bible), laquelle use de la transcription phonétique Paraqlîta. Dans le «
Dialogue » du patriarche nestorien Thimotée 1er avec le Calife al-Mahdî (qui a
régné environ de l’an 159 à l’an 169 de l’hégire, de 775 à 785), la question de
l’assimilation du prophète de l’islam avec le Paraclet est bien abordée, mais
en des termes (al-Fâraqlît par exemple) qui ne permettent aucune confusion, et
l’assimilation musulmane est réfutée par des arguments strictement théologiques
dans la version arabe, psychologiques dans la version syriaque plus développée.
Plus tard, le Nestorien converti à l’islam, Alî b. Rabbân al-Tabarî (241/855),
consacre tout un chapitre de son Kitâb al-Dîn wa-l-dawla à cet argument, mais
en s’appuyant uniquement sur la transcription Paraqlîtâ.
En revanche, au Maghreb, où le syriaque n’était pas connu,
l’argument linguistique a rencontré un grand succès. En Orient, on s’est
rabattu sur une seconde forme de dérivation, en affirmant que paraklètos est une
altération de periklutos (« illustre », « renommé »), ce qui revenait à traiter
une langue indo-européenne comme une langue sémitique, où intervient la
variation de vocalisation. Cette démarche est étayée par l’accusation coranique
faite aux « Gens du Livre » d’avoir « falsifié » (tahrîf) les Ecritures.
Marie-Thérèse Urvoy
Bibl. : Epalza Miguel de, La Tuhfa, autobiografia y
polemica islamica contra el Cristianismo de ‘Abdallâh al- Tarjumân (Fray Anselm
Turmeda), Rome, Accademia Nazionale dei lincei, 1971 .
Ibn HICHÂM, La Vie du prophète Mahomet, édition établie,
traduite de l’arabe et annotée par Wahib Atallah, Paris, Fayard, 2003.
in DICTIONNAIRE DU CORAN, (Robert Laffont, Collection
Bouquins, septembre 2007).
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