samedi 13 janvier 2018

Annonce de Mahomet - vocabulaire de l'islam 2



2. "Annonce de Mahomet" par Marie-Thérèse Urvoy

2.1. Présentation de l'article "Annonce de Mahomet"

Pour les musulmans les chrétiens ont falsifié les évangiles qui, avant leur altération, auraient mentionné explicitement la venue de Mahomet.  L'évangile de Barnabé (un faux du XVIème siècle qui annoncerait Mahomet) est considéré par les musulmans comme le seul évangile non falsifié (cf. le site tablîgh "aimer-jesus.com"). Kadhafi, dans un discours qui prophétise une Europe musulmane à court terme, s'en est fait le thuriféraire, dans:

http://www.dailymotion.com/video/x3fca_2006-04-10-discours-de-gagadhafi_news. Différents  articles ont montré la fraude liée à l'évangile de Barnabé, cf. par exemple http://facealislam.free.fr/barnabas.html et http://facealislam.free.fr/barnabe-seigneurchrist.htm. 

Sans lien avec l'évangile de Barnabé, l'article de Marie-Thérèse Urvoy pour le "Dictionnaire du Coran" (Robert Laffont, Collection Bouquins, septembre 2007), est scientifique. Il a pour base une analyse rigoureuse, linguistique et historique des textes. Il montre comment les arguments des musulmans  résultent de confusions, et comment une "relation entre le texte coranique et le texte évangélique s’est opérée par une « captation » reposant sur deux formes de détournement linguistique".

Marie-Thérèse Urvoy est professeur d'islamologie, d'histoire médiévale de l'islam et de langue arabe à l'Université catholique de Toulouse.

Cet article est reproduit en deux parties sur le site "Studia-Arabica"
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article10&var_recherche=Annonce%20de%20Mahomet%20(a)
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article10&var_recherche=Annonce%20de%20Mahomet%20(a)http://www.studia-arabica.net/spip.php?article239
"Notre-Dame de Kabylie" le publie avec l'aimable autorisation de l'auteur et de "Studia-Arabica"

[ Présentation rédigée par les auteurs du site Notre Dame de Kabylie ]


-2.2. L'article "Annonce de Mahomet" par Marie-Thérèse Urvoy

Deux passages du Coran évoquent cette annonce : « ceux qui suivent l’apôtre, prophète des gentils, qu’ils trouvent annoncé chez eux dans la Torah et l’Evangile » (7,157) ; « ô fils d’Israël [dit Îsâ] ! je suis l’apôtre de Dieu [envoyé] vers vous, déclarant véridique ce qui, de la Torah, est antérieur à moi et annonçant un apôtre qui viendra après moi, dont le nom sera Ahmad » » (61, 6). « Ahmad » est une forme élative, adjectivale intensive, qui signifie « le très glorieux » ou « le très loué ». Il dérive de la même racine h. m. d. que « Mahomet », « le loué ». Aussi la traduction française de Médine précise-t-elle : « Ahmad, en arabe, a presque la même signification que Mahomet, c’est pourquoi les deux termes sont utilisés dans le Coran pour désigner la même personne : le prophète de l’islam. » Un hadith fait dire au Prophète : « Je m’appelle Mahomet sur terre, mais Ahmad dans le ciel. » Enfin, le « poète du Prophète », Hassân b. Thâbit (54/674), composa une élégie où il employa indifféremment les deux noms.

Aucune précision n’étant donnée sur les sources textuelles, ce sont les croyants qui se sont efforcés de les trouver. Ainsi, au VIe/XIIe siècle, dans la Sicile conquise par les Normands, Muhammad b. Zafar recense et commente dans son livre, Khayr al-bishâra, les passages de la Bible et des Evangiles qui lui apparaissent comme des annonces de Mahomet. Actuellement, pour la Torah, l’apologétique propose l’extrait suivant : « Yahvé ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi que vous écouterez » (Dt 18, 15). En fait, il s’agit d’un passage du « Code deutéronomique » qui succède au second « Discours de Moïse », commençant par « Ecoute Israël » et donnant d’emblée le Décalogue, rappelé ensuite par le Chema’ Israel Dt 6, 4). Il est donc impossible autre chose que le peuple hébreux.

Pour l’Evangile, la question est un peu plus compliquée. Au VIIIe/XIVe siècle, Anselm Turmeda, franciscain catalan converti à l’islam et fixé en Tunisie, raconte, dans la partie autobiographique de son traité polémique antichrétien, qu’un prêtre de Bologne lui a révélé que le Paraclet annoncé dans l’Evangile est le prophète de l’islam, Mahomet, et que cette révélation lui a ouvert le chemin de la conversion. Ce texte de Turmeda, Tuhfat al-adîb (Le Présent de l’homme lettré pour réfuter les partisans de la Croix), est de nos jours très diffusé, tant au Maghreb que parmi les musulmans d’Europe. Il est en fait le prolongement d’un processus qui a commencé beaucoup plus tôt. Le mot « Paraclet » est mentionné deux fois dans l’Evangile de Jean : « et moi, je prierai le Père, et Il vous donnera un autre Paraclet, qui restera à jamais avec vous : l’Esprit de vérité […] vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il est en vous » (Jn 14, 16-17) ; « il vous est bon que je m’en aille. Car si je ne m’en allais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais je vous l’enverrai » (Jn 16,7). L’interprétation chrétienne est que « Paraclet » signifie « intercesseur », « avocat », celui qui assiste et défend ses clients, aussi est-il l’esprit de vérité qui est la demeure du Saint-Esprit dans le cœur des chrétiens par la grâce. Et le second fragment signifie que la venue du Saint-Esprit est subordonnée au retour du Fils à son Père.

L’établissement d’une relation entre le texte coranique et le texte évangélique s’est opéré par une « captation » reposant sur deux formes de détournement linguistique. La première a été faite par un converti du christianisme, connaissant le syriaque mais sans doute assez mal l’arabe, et dont l’interprétation a été reprise dans la Sîra nabawiyya d’Ibn Ishâq (150/767) et Ibn Hishâm (218/833), au paragraphe consacré à la « description [sifa] de l’Envoyé de Dieu par l’Evangile ». Le grec paraklètosétant rendu en syriaque par mnahmânâ (lu munhamannâ le reste de la citation étant également une adaptation très approximative du texte de Jean), Ibn Ishâq conclut : « al-munhamannâ, en syriaque, c’est Mahomet, et dans la langue des grecs albaraqlitis ».

Or le premier est de la racine sémitique n. h. m . (« consoler »), bien connue des fidèles à cause du célèbre passage d’Isaïe : « consolez, consolez mon peuple dit votre Dieu » (Is 40,1). En passant au syriaque, cette racine a pris le sens dérivé de relever, redresser, ce qui explique qu’on ait utilisé un de ses composés pour traduire le grec paraklètos (« avocat », « intercesseur » ). Avec la racine h. m. d. de Mahomet, elle n’a de commun que deux lettres, et pas dans l’ordre. Aussi cet argument n’a-t-il pas eu de succès au Moyen-Orient où a subsisté un nombre non négligeable de chrétiens dont le syriaque était la langue liturgique, et qui étaient en mesure de dénoncer la confusion.

A noter que seule la recension palestinienne des Evangiles emploie le terme mnahmânâ, mais non la Pshitta (traduction syriaque de la Bible), laquelle use de la transcription phonétique Paraqlîta. Dans le « Dialogue » du patriarche nestorien Thimotée 1er avec le Calife al-Mahdî (qui a régné environ de l’an 159 à l’an 169 de l’hégire, de 775 à 785), la question de l’assimilation du prophète de l’islam avec le Paraclet est bien abordée, mais en des termes (al-Fâraqlît par exemple) qui ne permettent aucune confusion, et l’assimilation musulmane est réfutée par des arguments strictement théologiques dans la version arabe, psychologiques dans la version syriaque plus développée. Plus tard, le Nestorien converti à l’islam, Alî b. Rabbân al-Tabarî (241/855), consacre tout un chapitre de son Kitâb al-Dîn wa-l-dawla à cet argument, mais en s’appuyant uniquement sur la transcription Paraqlîtâ.

En revanche, au Maghreb, où le syriaque n’était pas connu, l’argument linguistique a rencontré un grand succès. En Orient, on s’est rabattu sur une seconde forme de dérivation, en affirmant que paraklètos est une altération de periklutos (« illustre », « renommé »), ce qui revenait à traiter une langue indo-européenne comme une langue sémitique, où intervient la variation de vocalisation. Cette démarche est étayée par l’accusation coranique faite aux « Gens du Livre » d’avoir « falsifié » (tahrîf) les Ecritures.

Marie-Thérèse Urvoy

Bibl. : Epalza Miguel de, La Tuhfa, autobiografia y polemica islamica contra el Cristianismo de ‘Abdallâh al- Tarjumân (Fray Anselm Turmeda), Rome, Accademia Nazionale dei lincei, 1971 .
Ibn HICHÂM, La Vie du prophète Mahomet, édition établie, traduite de l’arabe et annotée par Wahib Atallah, Paris, Fayard, 2003.


in DICTIONNAIRE DU CORAN, (Robert Laffont, Collection Bouquins, septembre 2007).

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