4. "Tolérance et intolérance" article de
Marie-Thérèse Urvoy
1. Présentation
de l'article "Tolérance et intolérance"
En dar al harb (la maison (ou terre) de la guerre),
i.e. là où la loi de l'islam ne s'applique pas), les musulmans affirment que
l'islam est une religion tolérante. Leur argumentation est basée sur le début
du verset 256 de la sourate 2 : "Pas de contrainte en religion", et
sur un fragment du verset 29 de la sourate 18 : "Quiconque le veut, qu’il
soit infidèle".
Or le Coran contient un certain nombre de versets
contradictoires. Cette difficulté est résolue par les exégètes et théologiens
musulmans, avec le système des versets "abrogés" (mansukh) et
"abrogeant" (nasikh). La règle est alors "Quand deux versets se
contredisent, le verset révélé en dernier abroge (supprime) le verset révélé en
premier". Ce principe est contenu dans le Coran même, avec le verset 101
de la sourate 16 ("Les abeilles"),: "Quand Nous remplaçons un
verset par un autre – et Allah sait mieux ce qu’Il fait descendre – ils disent:
«Tu n’es qu’un menteur. » Mais la plupart d’entre eux ne savent pas", et
le verset 106 de la sourate 2 ("La vache"): "Si Nous abrogeons
un verset ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur ou un
semblable. Ne sais-tu pas qu’Allah est omnipotent?".
Ainsi, pour une majorité de commentateurs, les versets qui
prêchent l’indulgence ou la tolérance (les premiers dans l'ordre chronologique:
période mecquoise), sont abrogés par ceux qui prônent la violence sacrée contre
les infidèles (période médinoise).
L'article de Marie-Thérèse Urvoy pour le "Dictionnaire
du Coran" (Robert Laffont, Collection Bouquins, septembre 2007), est une
étude méthodique de la notion de tolérance. Les positions de deux
familles de commentateurs sont exposées.
Ceux qui affirment que le verset 256 de la sourate 2
("Pas de contrainte en religion") a été abrogé par le verset 73 de la
sourate 9 : "Mène combat contre les infidèles et les hypocrites et sois
dur contre eux", cette sourate 9 passant pour avoir été la dernière
révélée.
Ceux qui pensent, en se référant à un hadith, que ce verset
256 de la sourate 2 ne concerne que les "Gens du Livre"
(chrétiens et juifs), lesquels peuvent vivre en dar al-islam (terre d’islam)
avec le statut de dhimmî en payant un tribut. La question de l'apostasie est
abordée dans la dernière partie.
Marie-Thérèse Urvoy est professeur d'islamologie,
d'histoire médiévale de l'islam et de langue arabe à l'Université catholique de
Toulouse.
Cet article est édité sur le site
"Studia-Arabica"
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article22
"Notre-Dame de Kabylie" le publie avec l'aimable
autorisation de l'auteur et de "Studia-Arabica"
[ Présentation rédigée par les auteurs du site Notre Dame
de Kabylie ]
2. L'article
" Tolérance et intolérance " par Marie-Thérèse Urvoy
Pour le Coran le seul péché irrémissible est la mécréance
(kufr). Jusqu’à une époque récente, personne ne contestait l’obligation
d’éliminer l’incroyant qui est à la base du jihâd, mais subsistait une question
: comment amener l’incroyant à la vraie foi ? La réponse dépendait de celle qui
était donnée à une autre question, d’ordre théologique : l’incroyance est-elle
créée par Dieu seul ou l’homme en est-il responsable ne serait-ce qu’en partie ?
Aussi ne s’est-on pas tant arrêté aux passages coraniques
montrant que Mahomet ne devait pas exercer de contrainte sur les incroyants
mais se limiter à la prédication (16,125 ; 19,84 ; 25,52 ; 29,46 ; 50,45), qu’à
deux autres, d’une formulation différente. Le premier est le début du verset
256 de la sourate 2 : « Pas de contrainte en religion. » Le second est un
fragment du verset 29 de la sourate 18 : « Quiconque le veut, qu’il soit
infidèle. » Les commentateurs débattent pour savoir si cette formulation a une
portée générale, comme cela semble le cas si on prend ces fragments isolément,
ou une portée particulière si on les replace dans leur contexte (du Livre ou
des « circonstances de la Révélation »).
Ceux qui attribuent à la première sentence un sens général
affirment qu’elle a été abrogée par le verset 73 de la sourate 9 : « Mène
combat contre les infidèles et les hypocrites et sois dur contre eux » ; cette
sourate 9 passant pour avoir été la dernière révélée. En revanche, ceux qui lui
attribuent un sens particulier pensent, en se référant à un hadith, qu’il ne
concerne que les « Gens du Livre », lesquels peuvent subsister dans le domaine
de l’islam avec le statut de dhimmî et en payant un tribut.
Ibn Kathîr (VIIIe/XIVe siècle) fait la synthèse en estimant
que le verset a bien été révélé à une occasion particulière, mais que sa portée
n’en est pas moins générale. Il résume ainsi l’opinion commune : « N’obligez
personne à embrasser l’islam, car l’islam est clair et explicite, grâce à ses
preuves, ses signes. Et puis la guidance est de Dieu : si Dieu ouvre le cœur
d’une personne à Sa lumière, cette personne se convertit avec conviction, et
s’Il met un sceau sur le cœur d’une personne, sur ses yeux, ses oreilles, pour
la plonger dans un aveuglement, la contrainte n’est en rien utile pour cette
personne. »
Il ajoute cependant un hadith selon lequel un homme s’étant
plaint au Prophète qu’il était contraint d’embrasser l’islam, celui-ci aurait
répondu de l’accepter néanmoins car « Dieu allait le pourvoir en bonne
intention et en foi pure ».
Ibn Kathîr n’envisage la seconde sentence que sous l’angle
de la rétorsion : elle « découle de la menace, dit-il, puisque la suite
immédiate est évidente : aux dénégateurs est préparé un feu aux murs très épais
».
Dans ces conditions, la question de la possibilité de
sortir de l’islam ne se pose même pas. Quelqu’un qui a possédé la vérité et qui
veut la quitter ne peut être qu’un pervers passible du feu éternel (2, 27 et
217 ; 16, 106). Curieusement, le Coran semble hésiter, à quelques versets de
distance seulement, entre l’absolution après repentir (3, 89) et le refus de
toute rémission (3,90 ; 4, 137).
Quoi qu’il en soit, la vision coranique de l’apostasie est
donc purement spirituelle et se distingue ainsi de celle de l’Empire romain
constantinien et de l’Empire Byzantin, où l’apostasie était une trahison
civile. Elle se rapproche, en revanche, de celle du droit ecclésiastique
chrétien qui cherchait à établir des étapes de réconciliation pour le
repentant. La vision politique n’a été adoptée par l’islam qu’ultérieurement,
mais néanmoins mise sous l’autorité d’un hadith : « Quiconque change sa
religion, tuez-le. »
L’apostasie extérieure sous la contrainte, le sujet restant
intérieurement ferme dans sa foi, est absoute par un passage du verset 102 de
la sourate 16, vraisemblablement interpolé mais correspondant à la doctrine de
la légitimité de la taqiyya (« dissimulation »).
Dès le début du XXe siècle, le grand mufti d’Egypte,
Muhammad ‘Abduh, avait considéré que le devoir d’exécution de l’apostat ne se
justifiait que tant que l’islam était une petite communauté dont les défections
auraient menacé l’existence même, ce qui n’était plus le cas. Mais son
successeur à la tête du mouvement salafî, Rashîd Ridâ, était revenu à la
doctrine classique. Actuellement, certains auteurs se font une facile
réputation de réformisme en se limitant à reprendre la position de ‘Abduh.
par Marie Thérèse URVOY
Bibl. :
FRIEDMANN Yohanan, Tolerance and Coercion in Islam,
Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
IBN KATHÎR, L’Exégèse du Coran, trad. H. Abdou, Beyrouth,
El-Bouraq, 2003.
Article extrait du DICTIONNAIRE DU CORAN, (Robert
Laffont, Collection Bouquins, septembre 2007)
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