11. "Appel à l'islam" (da'wa). Article de Marie-Thérèse Urvoy
1. Présentation de l'article
Le mot da'wa (appel) désigne la
technique de prosélytisme utilisée par les différents courants de l'islam. Elle
consiste à envoyer des missionnaires dans les populations à convaincre. Toute
action, toute organisation qui a pour but de multiplier les adhérents à ce
principe s’appelle aussi da’ wa, comme l’ensemble du pouvoir
donné à ces adhérents et la propagande qui l’accompagne à des fins
d’endoctrinement et de mission.
Dans cet article, extrait de "Dictionnaire
du Coran" (Robert Laffont, Collection Bouquins, sept. 2007),
Marie-Thérèse Urvoy fait une analyse historique de ce concept, et de ses
implications. Cet article est reproduit sur le site "Studia-Arabica":
http://www.studia-arabica.net/spip.php?article11
Il est repris ci-dessous avec l'aimable autorisation de
l'auteur et de "Studia-Arabica".
Marie-Thérèse Urvoy est professeur d'islamologie,
d'histoire médiévale de l'islam, et de langue arabe à l'Université catholique
de Toulouse.
[ Présentation rédigée par les auteurs du site Notre Dame
de Kabylie ]
2. Article "Appel à l'islam" (da'wa)
La racine d.’ â., dans le Coran, a
plusieurs registres de signification : appel, invitation, invocation de
Dieu ou prière. Le mot da’ wa qui en découle désigne
l’invitation, faite aux hommes par Dieu et les prophètes, à croire en la vraie
religion (sourate 14, verset 44). Le prophète Mahomet a eu pour mission de renouveler
cet appel, qui devient « l’appel à l’islam » ou « l’appel de
l’Envoyé [de Dieu]. »
Auparavant, on aura admis que la religion de tous les
prophètes est l’islam, chaque prophète ayant son propre appel (même les faux
prophètes ont usé du mot da ‘ wa pour désigner leur
prédication). Des implications juridiques interviennent pour définir le genre
de châtiment à infliger aux infidèles selon le degré de leur connaissance de
cet appel. Les musulmans, quant à eux, sont tenus d’inviter à embrasser l’islam
tous ceux que la da’ wa n’a pas préalablement
atteints : cette exhortation doit précéder formellement tout combat.
Elle contient, constitutivement, une acceptation de
ralliement à l’islam, dans un sens d’ « invitation à la vie
bienheureuse ».
La signification du mot s’est logiquement étendue au
contenu même : la loi religieuse. Aussi certains textes utilisent-ils
indifféremment et en équivalence les mots da’ wa sunna
(« tradition »), shari’â (« loi
religieuse ») et dîn (« religion »). Le terme
s’applique également à la communauté des hommes qui ont répondu à l’appel du
Prophète. On parle alors de « consensus de l’appel » ( ijtimâ’
al-da’wa) Enfin on peut lui donner un sens à la fois politique et
religieux comme le fait Ibn Khaldûn (808/1406), pour qui la da ‘ wa est
un des outils qui servent à fonder un empire nouveau.
Dans l’histoire, la da’ wa a été
comprise comme l’invite à adhérer au parti d’une personne, d’un groupe ou d’une
famille réclamant le droit à l’autorité civile et spirituelle afin d’imposer
une doctrine politico-religieuse dont l’objectif est la fondation d’un Etat
théocratique idéal, fondé sur le monothéisme islamique. Toute action, toute
organisation qui a pour but de multiplier les adhérents à ce principe s’appelle
aussi da’ wa, comme l’ensemble du pouvoir donné à ces adhérents
et la propagande qui l’accompagne à des fins d’endoctrinement et de mission.
L’analyse d’Ibn Khaldûn se vérifie dans le cas du mouvement
abbasside qui se présenta comme une propagande en faveur d’un membre de la
famille du Prophète qualifié de « Agréé de la famille de Mahomet ».
Avec le développement de cette idée comme pratique fondamentale, les
différentes sectes ou dynasties l’ont utilisée dans leurs mouvements de
propagande.
Chez les Fatimides, établis en Afrique du Nord, la da’
wa prit une connotation particulière du fait de leur fidélité au
dogme chiite de la permanence de la Révélation à travers le personnage de
l’Imâm. Leur da’ wa venait compléter celle du
Prophète ; elle devait, par ailleurs, être renouvelée par le Mahdi (le
sauveur eschatologique).
Non seulement cet élan se perpétua après l’établissement de
la dynastie, mais il s’organisa et s’amplifia après l’installation au Caire,
avec l’envoi de sympathisants pour gagner de nouvelles régions et de
missionnaires dépendants d’un chef suprême, résidant dans la nouvelle capitale
et dont la fonction s’appelait aussi da’ wa.
Il s’agissait de convaincre la communauté que seul l’imâm,
assisté et inspiré par Dieu, dépositaire des secrets transmis à ‘Alî par le
Prophète, était apte à diriger l’humanité dans la bonne voie, d’une part, et
que seule la dynastie fatimide, d’autre part, descendante d’Ismâ’ îl b. Ja’
far, était légitime, intègre et probe lorsqu’elle s’acquittait des devoirs
sacrés de la religion.
La diffusion dogmatique débouchait sur l’enseignement d’une
doctrine ésotérique à la fois religieuse, politique, juridique et
philosophique, recourant à l’interprétation allégorique du Coran et des lois
religieuses. Les procédés étaient finement pédagogiques car, suivant la
religion de ceux qu’il fallait convertir, des moyens différents étaient
utilisés.
Le calife al-Hâkim, toutefois, en 395/1005, voulut forcer
les gens à « entrer dans la da’ wa » c’est-à-dire à
écouter les conférences du grand cadi. A la mort du calife al-Mustansir, en
487/1094, l’ismaélisme se sépara en deux banches, qualifiées l’une de « da’
wa ancienne » et l’autre de « da’ wa nouvelle »,
cette dernière se distinguant parfois par son action violente (les
« Assassins », mentionnés ainsi par les chroniqueurs croisés).
Dans les temps modernes, le prosélytisme islamique se sert
du terme da’wa pour lui restituer son sens originel d’appel
à l’islam avant tout. Ainsi Rachîd Ridâ a-t-il fondé en 1911, près du Caire, la
Maison de l’appel et de la direction (Dâr al-da’wa wa-l-irshâd).
A Paris, de nos jours, la mosquée d’al –Da ’wa, dans le
dix-neuvième arrondissement, s’est illustrée par son activisme et son
militantisme. Elle pourvoit la ville en conférences, séminaires, réunions et
manifestations dites « culturelles » très prisées par le public, en
particulier par les professionnels des relations interreligieuses.
- Bibl. :
Lewis Bernard, The Origins of Ismâ’îlism, Cambridge, W.
Heffer & Sons, 1940
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