samedi 13 janvier 2018

Appel à l'islam (da'wa) - vocabulaire de l'islam 11





11. "Appel à l'islam" (da'wa). Article de Marie-Thérèse Urvoy


1. Présentation de l'article


Le mot da'wa (appel) désigne la technique de prosélytisme utilisée par les différents courants de l'islam. Elle consiste à envoyer des missionnaires dans les populations à convaincre. Toute action, toute organisation qui a pour but de multiplier les adhérents à ce principe s’appelle aussi da’ wa, comme l’ensemble du pouvoir donné à ces adhérents et la propagande qui l’accompagne à des fins d’endoctrinement et de mission.

Dans cet article, extrait de "Dictionnaire du Coran" (Robert Laffont, Collection Bouquins, sept. 2007), Marie-Thérèse Urvoy fait une analyse historique de ce concept, et de ses implications. Cet article est reproduit sur le site "Studia-Arabica": http://www.studia-arabica.net/spip.php?article11

Il est repris ci-dessous avec l'aimable autorisation de l'auteur et de "Studia-Arabica".
Marie-Thérèse Urvoy est professeur d'islamologie, d'histoire médiévale de l'islam, et de langue arabe à l'Université catholique de Toulouse.

[ Présentation rédigée par les auteurs du site Notre Dame de Kabylie ]


2. Article "Appel à l'islam" (da'wa)

La racine d.’ â., dans le Coran, a plusieurs registres de signification : appel, invitation, invocation de Dieu ou prière. Le mot da’ wa qui en découle désigne l’invitation, faite aux hommes par Dieu et les prophètes, à croire en la vraie religion (sourate 14, verset 44). Le prophète Mahomet a eu pour mission de renouveler cet appel, qui devient « l’appel à l’islam » ou « l’appel de l’Envoyé [de Dieu]. »

Auparavant, on aura admis que la religion de tous les prophètes est l’islam, chaque prophète ayant son propre appel (même les faux prophètes ont usé du mot da ‘ wa pour désigner leur prédication). Des implications juridiques interviennent pour définir le genre de châtiment à infliger aux infidèles selon le degré de leur connaissance de cet appel. Les musulmans, quant à eux, sont tenus d’inviter à embrasser l’islam tous ceux que la da’ wa n’a pas préalablement atteints : cette exhortation doit précéder formellement tout combat.

Elle contient, constitutivement, une acceptation de ralliement à l’islam, dans un sens d’ « invitation à la vie bienheureuse ».

La signification du mot s’est logiquement étendue au contenu même : la loi religieuse. Aussi certains textes utilisent-ils indifféremment et en équivalence les mots da’ wa sunna (« tradition »), shari’â (« loi religieuse ») et dîn (« religion »). Le terme s’applique également à la communauté des hommes qui ont répondu à l’appel du Prophète. On parle alors de « consensus de l’appel » ( ijtimâ’ al-da’wa) Enfin on peut lui donner un sens à la fois politique et religieux comme le fait Ibn Khaldûn (808/1406), pour qui la da ‘ wa est un des outils qui servent à fonder un empire nouveau.

Dans l’histoire, la da’ wa a été comprise comme l’invite à adhérer au parti d’une personne, d’un groupe ou d’une famille réclamant le droit à l’autorité civile et spirituelle afin d’imposer une doctrine politico-religieuse dont l’objectif est la fondation d’un Etat théocratique idéal, fondé sur le monothéisme islamique. Toute action, toute organisation qui a pour but de multiplier les adhérents à ce principe s’appelle aussi da’ wa, comme l’ensemble du pouvoir donné à ces adhérents et la propagande qui l’accompagne à des fins d’endoctrinement et de mission.

L’analyse d’Ibn Khaldûn se vérifie dans le cas du mouvement abbasside qui se présenta comme une propagande en faveur d’un membre de la famille du Prophète qualifié de « Agréé de la famille de Mahomet ». Avec le développement de cette idée comme pratique fondamentale, les différentes sectes ou dynasties l’ont utilisée dans leurs mouvements de propagande.

Chez les Fatimides, établis en Afrique du Nord, la da’ wa prit une connotation particulière du fait de leur fidélité au dogme chiite de la permanence de la Révélation à travers le personnage de l’Imâm. Leur da’ wa venait compléter celle du Prophète ; elle devait, par ailleurs, être renouvelée par le Mahdi (le sauveur eschatologique).

Non seulement cet élan se perpétua après l’établissement de la dynastie, mais il s’organisa et s’amplifia après l’installation au Caire, avec l’envoi de sympathisants pour gagner de nouvelles régions et de missionnaires dépendants d’un chef suprême, résidant dans la nouvelle capitale et dont la fonction s’appelait aussi da’ wa.

Il s’agissait de convaincre la communauté que seul l’imâm, assisté et inspiré par Dieu, dépositaire des secrets transmis à ‘Alî par le Prophète, était apte à diriger l’humanité dans la bonne voie, d’une part, et que seule la dynastie fatimide, d’autre part, descendante d’Ismâ’ îl b. Ja’ far, était légitime, intègre et probe lorsqu’elle s’acquittait des devoirs sacrés de la religion.

La diffusion dogmatique débouchait sur l’enseignement d’une doctrine ésotérique à la fois religieuse, politique, juridique et philosophique, recourant à l’interprétation allégorique du Coran et des lois religieuses. Les procédés étaient finement pédagogiques car, suivant la religion de ceux qu’il fallait convertir, des moyens différents étaient utilisés.

Le calife al-Hâkim, toutefois, en 395/1005, voulut forcer les gens à « entrer dans la da’ wa » c’est-à-dire à écouter les conférences du grand cadi. A la mort du calife al-Mustansir, en 487/1094, l’ismaélisme se sépara en deux banches, qualifiées l’une de « da’ wa ancienne » et l’autre de « da’ wa nouvelle », cette dernière se distinguant parfois par son action violente (les « Assassins », mentionnés ainsi par les chroniqueurs croisés).

Dans les temps modernes, le prosélytisme islamique se sert du terme da’wa pour lui restituer son sens originel d’appel à l’islam avant tout. Ainsi Rachîd Ridâ a-t-il fondé en 1911, près du Caire, la Maison de l’appel et de la direction (Dâr al-da’wa wa-l-irshâd).

A Paris, de nos jours, la mosquée d’al –Da ’wa, dans le dix-neuvième arrondissement, s’est illustrée par son activisme et son militantisme. Elle pourvoit la ville en conférences, séminaires, réunions et manifestations dites « culturelles » très prisées par le public, en particulier par les professionnels des relations interreligieuses.


- Bibl. : Lewis Bernard, The Origins of Ismâ’îlism, Cambridge, W. Heffer & Sons, 1940

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